Acte I

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 A mon réveil, j'étais complètement désorienté. Quand j'ouvris les yeux, un mal de tête affreux me saisit comme au lendemain de la pire des cuites. En grognant, j'enfonçai la tête dans l'oreiller en espérant étouffer la migraine.

Encore à moitié dans les vapes, je tentai de me rappeler des derniers évènements qui m'avaient conduit là. Je ne m'étais quand même pas tellement bourré la gueule au point d'oublier l'entièreté de mon réveillon, si ?

Ah. Non. Ça me revenait.

Marco était reparti à Turin pour passer les fêtes avec sa famille, réduisant mes perspectives à passer le 24 décembre seul ou avec la poignée de potes célibataires qu'il me restait. Maman avait réglé le problème en me spammant d'appels manqués et de SMS pour m'annoncer qu'il fallait absolument que je passe Noël à la Gunière, la résidence familiale paumée au cœur des Alpes, où je n'avais pas mis les pieds depuis des années. Toute la famille serait présente, avait-elle plaidé. Autrement dit, toute une assemblée d'abrutis que je n'étais pas pressé de revoir. Pas un argument convaincant. Mais elle m'avait sorti le grand numéro des sanglots déchirants, et j'avais été obligé de céder.

L'idée du siècle.

Décidant que faire acte de présence était déjà un effort conséquent, je n'avais pas cherché à être sociable. On avait à peine réussi à me tirer quelques mots sur ma dernière année de master de droit, ce qui avait fait pousser des exclamations aux oncles et tantes : rholàlà, qu'est-ce que le temps passe vite, vous vous rendez compte...

Pendant l'apéro, j'avais essuyé sans broncher les réflexions que sa grand-mère faisait sous mon nez ; je n'avais pas changé, mon mutisme et mon grave manque de savoir-vivre étaient indéniablement dû à une éducation bien trop laxiste blablabla ces jeunes de nos jours blablabla elle allait dire deux mots à mes parents... J'aurais bien voulu lui jeter à la gueule que je me tapais des mecs, histoire de l'achever, mais il me restait un fond de savoir-vivre. Alors, pour éviter de commettre un grand-matricide, j'étais sorti prendre l'air. De fil en aiguille, l'envie d'explorer de nouveau ces collines que je connaissais par cœur quand j'étais gosse m'avait prise. J'étais parti à l'aventure, sans lampe de poche, sans téléphone, sans rien.

Et j'étais arrivé... quelque part.

Où, en fait ?

Je roulai lourdement sur le flanc, les yeux plissés pour me protéger de la lumière qui m'assaillit. La chambre était petite et basse de plafond, tapissée de bois. Une fenêtre s'ouvrait face au lit, occultée de rideaux qui laissaient cependant passer les vifs rayons du jour. Perdu, je me redressai sur les coudes. La couverture glissa sur ma poitrine, et frissonnai en la rabattant d'un geste vif. On m'avait débarrassé de blouson et mon pull, me laissant torse nu sous les draps chauds ; et l'unique question qui demeurait à présent dans mon esprit, était « qui m'a déshabillé ? ».

Au même moment, la porte s'ouvrit.

Durant quelques secondes, je fus seulement capable de me concentrer sur les croissants et le bol fumant trônant sur le plateau ; puis je remarquai les mains blanches qui le soutenaient, et remontai jusqu'à un visage à moitié noyé dans une cascade de cheveux noirs.

— Je vois que vous êtes réveillé.

Ce timbre à la fois grave et chantant qui me fit tressaillir malgré moi. Mes yeux étaient rivés sur son visage, dont la pâleur contrastait avec l'encre de ses yeux et la rougeur de ses lèvres.

Devant mon silence et mon immobilité, Blanche-Neige m'adressa une mimique apparentée à un sourire.

— Je pensais que vous auriez peut-être faim.

Le VillageWhere stories live. Discover now