Prologue

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Ana.


Ils sont quatre. Quatre individus sortis tout droit des tréfonds de l'enfer, fonçant droit vers notre petite maison délabrée. Ici, c'est la panique. J'entends des pas agités sur le parquet creux, on passe à côté de moi en courant, des objets tombent.

Mon petit frère de six ans se cache dans le placard à double fonds que mes parents ont construits pour un cas de figure comme celui-ci. Ma mère l'aide avec précipitation, le visage livide et moite de sueur pendant que mon père tente de charger son fusil.

Malheureusement ses doigts tremblent tellement que ses gestes sont imprécis. La balle qu'il souhaite insérer retombe lourdement sur le sol, provoquant un bruit sinistre qui résonne jusqu'à nos oreilles comme le glas d'une mort certaine.

C'est justement à cet instant que notre porte d'entrée se dégonde sous la force d'un bélier en métal. Je n'oublierai jamais l'air presque pathétique de mon père, les genoux au sol, la balle fuyarde dans une main et son fusil cassé dans l'autre. Je n'oublierai jamais non plus, la peur dans ses yeux bleus perçants dont j'ai hérité.

C'est aussi là que j'ai réalisé que durant tout ce moment de stress intense, je suis restée plantée au milieu de mon séjour, observant les membres de ma famille s'évertuer à se préparer, comme si je vivais la scène sans y être présente, comme si en y croyant très fort, je parviendrais à devenir invisible.

Je n'ai jamais été d'une nature très combative, souvent passive et particulièrement effacée. Il faut dire que depuis ma plus tendre enfance, je suis élevée pour devenir une gentille fille soumise à son futur mari. Mon père s'est fait une priorité de m'enseigner l'art et la manière de rester à ma place de femme, alors comment m'en vouloir maintenant que je me retrouve face à quatre hommes armés jusqu'aux dents, d'avoir les joues en larme, le dos collé contre la pierre, incapable d'esquiver le moindre mouvement pour protéger ma famille.

Si je dois retenir une leçon de ce moment, c'est que « l'homme de la maison » qui passe son temps à nous affirmer sa supériorité n'est finalement pas plus utile que les deux femmes présentes. Dans d'autres circonstances, j'aurais pu ricaner de dédain mais là, j'ai plutôt envie de m'effondrer au sol.

Je pense sans cesse à mon petit frère. Ses boucles blondes, ses petits bras menus autour de mon cou. Pourvu qu'ils ne le trouvent pas, pourvu qu'il applique les consignes répétées un million de fois. Je me sacrifierai autant de fois, les laisserais m'infliger les pires sévices si seulement je pouvais les éloigner de lui.

— Ne leur faites pas de ...

La balle a fusé si vite que je sursaute seulement au moment où le corps de mon père s'effondre au pied du tueur.

Mes yeux s'écarquillent sous l'horreur alors que le hurlement animal de ma mère vrille mes tympans déjà abimés par la détonation.

Par pitié Pavel, mon frère, ne pleure pas. Reste aussi silencieux qu'un mort. Dans le cas contraire, tu le deviendras et je n'y survivrais pas.

— NOOOON, NOOOON, MON DIEU PAS ÇA.

Je reviens durement au moment présent quand j'aperçois ma mère fondre vers le sol. Ses genoux sont les premiers à atteindre la flaque de sang créé par la cervelle de mon paternel, s'en suivent ses paumes, puis son front.

Dans cette position quasi religieuse, on la croirait prêtre à prier un dieu qui vient de nous abandonner lâchement.

Je n'ai jamais été croyante, à l'inverse de mes parents mais si je l'avais été, il aurait été fort probable que ma foi termine comme l'homme au crâne explosé.

Plus tard, surement que je raconterais cette histoire en ayant la certitude que ce moment a duré une éternité, pourtant il n'a fallu que quelques secondes entre le massacre de mon père et notre kidnapping.

Quand un des bourreaux agrippe ma chevelure châtain foncé, trop foncé pour les critères de beauté de mon village, j'ai toujours les yeux sur ma mère qui se fait relever de force, par le tueur.

La douleur me force à esquiver un pas, puis deux, alors même que je suis incapable de ressentir quoi que ce soit hormis une peur viscérale et totalement paralysante.

Ma mère, elle, à l'inverse hurle et se débat comme une forcenée. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil, cependant il est vrai que nous n'avons jamais vécu une situation pareille ...

Mais alors que je me laisse trainer sans grande résistance, je clos les paupières dans une dernière prière silencieuse à ce dieu duquel je viens à l'instant de nier l'existence.

Faites que mon frère survive. Faites que mon frère survive. Faites que mon frère survive.

Et alors que j'atteins le palier, une petite voix larmoyante vient faire s'effondrer le sol sous mes pieds.

— Maman ?

J'ai juste le temps de jeter un œil hystérique sur la petite silhouette de mon frère, avant de hurler à plein poumon, en concert avec ma mère. Un instant plus tard, une douleur brutale derrière ma nuque me plonge dans un monde sans lumière où seule la cruauté humaine est reine.

Une chose est certaine, si je dois à nouveau prier un jour, c'est l'enfer que j'invoquerais.

DimitriWhere stories live. Discover now