Dimitri

Chapitre 6 Ana

D'un sifflement, Gollum ordonne, à l'un des sbires restés à distance du trio, de m'obliger à exécuter sa consigne. Je n'attends pas qu'il me malmène et décide d'obéir afin d'attirer le moins possible l'attention sur moi. À mesure que j'approche, ma vue me joue encore des tours. Je me sens faible, toutefois, un malaise à cet instant réduirait à néant mes tentatives d'être discrète. Je respire aussi profondément que la situation le permet afin de réoxygéner rapidement mes organes.

— Je vous présente, Ana, Messieurs, annonce Lioubov d'une voix légèrement tremblante qu'il tente de dissimuler en toussotant. Elle s'assurera de votre bien-être pendant cette soirée. Vous pouvez lui demander absolument tout ce qui vous passe par la tête. Elle est dressée pour.

— Hum, répond Vikrov, sans prendre la peine de pivoter dans ma direction.

« Dressée pour ». Je serre les mandibules pour ne pas cracher les insanités qui me viennent à l'esprit. Mon poing droit se contracte et ce geste n'échappe pas à l'inconnu ténébreux qui pose de nouveau les yeux sur moi et sur mes phalanges blanchies. A contrecœur, je relâche mes doigts, mais trop tard. Il détourne le regard, sans croiser le mien, toutefois son front plissé témoigne des pensées qui le traversent. Je le sens plus observateur que son allié. On dirait que chacun possède un rôle bien précis ce soir. Ils semblent tout à fait complémentaires. Si l'un est menaçant et souffle le chaud, l'autre est silencieux et souffle le froid, à l'affut de ce qui les entoure. Bonne chance à ceux qui souhaiteraient les avoir comme ennemi. Ces hommes sont des spécialistes du crime à un niveau que Lioubov n'atteindra jamais. En les examinant, cela devient évident, je suis en présence de membres très importants du réseau.

— Je veux que tu lâches Norilsk, je n'ai plus besoin de toi sur ce terrain, annonce abruptement le meneur.

Un léger blanc s'installe, alors que la paupière de Lioubov tressaute, signe de sa colère vrombissante.

— Comment ça ? réplique-t-il le plus calmement possible.

Vikrov hausse les épaules, puis esquisse une mimique dédaigneuse.

— J'aurais dû mal à être plus clair. Tu ne m'es plus d'aucune utilité à Norilsk. Tout simplement.

— Je ne peux pas me passer de ce marché, Vikrov. Comment veux-tu que je tienne le réseau, sans mon business le plus important ? J'ai des hommes à payer, des filles à entretenir.

Cette fois, des yeux bleus perçants se rivent aux miens et je peine à dissimuler les émotions qui me frappent. Comment est-ce probable qu'en une seule soirée, je découvre deux hommes plus beaux l'un que l'autre, alors que je ne suis jamais tombée que sur de gros porcs à peine présentables. Le magnétisme et le charisme qui se dégage de lui me prennent totalement de court. Je comprends aussitôt le pouvoir qu'il peut exercer sur la larve qui lui fait face. Ils ne jouent clairement pas dans la même cour et pendant une fraction de seconde, je regrette de ne pas être atterri dans sa famille à lui. Puis cette idée me donne la nausée et je me maudis d'y avoir ne serait-ce que songé. Ce sont des criminels, ni plus, ni moins. Son physique, même s'il a réussi à me harponner, n'en efface pas moins l'horreur de ses actions.

Je prie de toutes mes forces pour que ce cataclysme de pensées contradictoires ne se soit pas affiché sur mes traits.

Je redescends vite de mes émois pathétiques, quand le bellâtre me zieute de haut en bas, d'un air franchement mitigé.

— Si ce sont des filles comme celles-ci que tu gardes ici, ce ne sera pas une grande perte qu'elles te claquent entre les doigts.

Une gifle m'aurait fait moins mal. La brutalité de cette phrase, prononcée par un homme que je trouvais divinement désirable quelques secondes auparavant, me provoque un réel choc. Mes yeux qui s'écarquillent lui prouve qu'il a tapé dans le mil, alors même qu'il ne me prenait pas pour cible. C'est d'autant plus blessant ...