Chapitre 5

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Ana



Il fait nuit noire lorsque je sors de la salle de bain luxueuse qui se trouve au premier étage. Nous sommes samedi soir. Déjà. J'ai eu beau tenter de ralentir le temps, rien n'y a fait. Les secondes, puis les minutes se sont écoulées, laissant place à des heures cruelles qui ont sonné minuit plus vite que jamais, jusqu'à ce jour maudis. Je divague dans cet endroit que je n'avais jamais foulé auparavant. Les favorites ont dû laisser la paria que je suis me mélanger à elle. Ordre formel de Gollum. J'ai eu le droit à des tas de regards courroucés pour les plus gentils, franchement dédaigneux pour les plus mauvais. Je suis la seule du niveau inférieur à avoir été convoquée. Je peine à comprendre la raison de ma présence ici. Il faut avouer, que je suis loin d'être l'une des premières options du maître des lieux et si je me réfère à mes « collègues », Lioubov a sélectionné des morceaux de choix, ce qui prouve la véracité de ses propos. L'évènement est important.

Mais alors pourquoi moi ? Que fais-je là, à côtoyer les plus belles femmes de son harem ? Un violent coup d'épaule fait dévier le mascara que j'appliquais avec paresse. La brosse menace de s'enfoncer dans mon œil, mais n'esquive pas ma pommette, à présent affublée d'un noir collant et waterproof. J'accable la coupable d'un regard des plus sombre. Si je fuis les problèmes avec les hommes, il n'en est rien de mes paires. Je ne me suis pas souvent battue dans ma vie, mais le peu de fois où j'y ai été obligée, je m'en suis sortie.

— Oups, excuse-moi, minaude-t-elle, j'ai pas réussi à éviter ton gros cul.

Je bifurque légèrement pour lui faire face, en me redressant.

— Recommence une chose pareille et je peux te garantir que tu pourras plus le louper quand il viendra essuyer le pot de fond de teint que t'as plaqué sur ta tronche

Elle écarquille ses grands yeux dédaigneux en tordant la bouche nerveusement.

— Au passage, rajouté-je. Pense à changer de marque, je peux t'assurer qu'on voit encore ton acné.

Je la contourne en lui envoyant mon plus beau majeur, puis me dirige vers le placard d'escarpin de couturier, réservée à l'élite. Cela change des godasses abimées qui tournent depuis des années au niveau inférieur. Ce soir, dans cette robe blanche qui marque ma pigmentation hâlée, je retrouve presque l'ancienne Ana. Celle qui vivait plus ou moins libre. Un noeud coulant presse ma trachée, lorsque je fixe mon reflet dans le miroir. Suis-je affublée de ma tenue mortuaire ? Est-ce ce vêtement en satin qui m'accompagnera dans la tombe ou le caniveau qu'ils me prévoiront ? Des images de mon cadavre pénètrent mon esprit, alors je me détourne du miroir et retourne vers les coiffeuses afin de retirer la trace de maquillage qui orne ma pommette. Ma « copine » chuchote à l'oreille de ses compères qui me lancent tour à tour des regards lourds de sens. Je n'éprouve aucune difficulté́ à m'en désintéresser tant mes pensées sont tournées vers d'autres centres d'intérêts bien moins futiles. Ces dernières sont le cadet de mes soucis et perdre de l'énergie dans ces disputes de midinettes ne m'aidera pas. Il est clair qu'elles ne sont pas habituées à partager la vedette, cependant elles sont stupides si elles s'imaginent que c'est pour cette raison que l'on m'a débusqué des bas-fonds. J'ignore toujours le plan de Gollum, mais nul doute qu'il va très vite m'être exposé. Je sursaute lorsque la porte s'ouvre et que mon nom résonne sinistrement dans notre loge. Le ton de Cézar est aussi froid et tranchant qu'une lame de katana.

Cette fois, les diverses prostituées esquissent de magnifiques sourires machiavéliques. Elles tiennent leur revanche, se réjouissent d'un malheur qu'elles connaitront pourtant tôt ou tard. Diviser pour mieux régner n'a jamais aussi bien porté ses fruits que dans ce lieu de débauche. Je les plains. Si elles n'apprennent pas rapidement à être solidaires les unes envers les autres, rien ne pourra plus les sauver.

DimitriWhere stories live. Discover now