INTRODUCTION➤

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Cela s'était déroulé en une douce mais froide soirée de printemps. Ce jour-là même s'ils se faisaient rares, les rayons perçants de l'astre solaire défiaient avec élégance et robustesse l'épaisse brume qui avait avalé l'imposant et majestueux Cirque Haly. Un jeune homme d'une douzaine d'années lambinait mollement, l'esprit ailleurs ; ce garçon de petit taille pour son âge et à la coupe au bol brune légèrement désuète avait pour nom Gagsworth. Il avait pour habitude de flâner entre les nombreuses et diverses caravanes, tentes et cages. Grincheux, il marmonnait tandis que son pied vint bousculer une vieille canette à moitié vide qui agonisait sur le sol de cette incroyable tanière à forains. Et chaque membre de cette immense famille de spectaculaires nomades était capable de deviner ce que ce bien grognon jeune homme pouvait dire dans sa barbe. Oui, il crachait sa haine envers le directeur du cirque. Ce méprisable personnage qui avait osé supprimer le numéro de funambule de Gagsworth dans le but de le remplacer par celui de la "fabuleuse" famille Grayson. Des voltigeurs. Quelle plaie pensait l'adolescent du haut de ses douze années d'existence. Il n'avait plus personne mais faisait à présent partie des rejetés ; soit le "merveilleux" clan des augustes, des clowns blancs et des contre-pitres. Vive les bouffons.

Il s'en souvenait. C'était en une aussi belle fin de journée qu'il avait fait la connaissance de cet enfant. Il avait remarqué ce petit garçon à la tignasse rousse recroquevillé sur lui-même, assis par terre au milieu des caravanes. Ce gamin pleurait toutes les larmes de son corps et Gagsworth, curieux et inquiet eu l'envie de s'approcher. Malheureusement, il se ravisa en apercevant celui qu'il surnommait "L'arnaqueur aveugle". Un homme qu'il ne portait pas dans son cœur répondant au doux nom de Paul Cicero. Le vieillard vint prudemment vers le garçonnet avant de l'aborder calmement.


<<Pourquoi pleures-tu Jerome ?>> Demanda ce dernier, son regard perdu dans le vide et l'obscurité.


Le petit garçon fut pris d'un léger sursaut avant de dévoiler son visage meurtri, coloré d'ecchymoses et de taches rougeâtres qui se mêlaient ignoblement à la crinière ébouriffée de l'enfant. Jerome restait un moment silencieux, essayant de faire taire ses sanglots et reniflements. Fébrile et tremblotant, il bégayait sans parvenir à former des mots cohérents. Les dents du petit claquaient les unes contre les autres. La douleur était abominable, absolument atroce ; il avait mal partout. Ses bras, ses jambes... L'entièreté de son maigre et frêle corps de gringalet était douloureux. Et même si le vieil homme ne pouvait voir dans quel état était le garçonnet, il imaginait sans peine la chose. Gagsworth contemplait la scène en silence, au loin et sous le choc ; qui était capable de faire du mal à un enfant aussi jeune ? Caché derrière une caravane, il allait le découvrir en écoutant la discussion entre Cicero et le chétif Jerome.


<<C'est... C'est mon anniversaire aujourd'hui... Maman... Maman et son copain... Ils m'ont frappé...>> Répondit le petit rouquin, les larmes dévalant ses joues et ses lèvres réceptionnant l'écœurante morve fuyant les narines de l'enfant.


Le silence était pesant. Une main assez maladroite s'installa sur l'épaule endolorie et abîmée du garçonnet. L'aveugle vieillard ne dit rien et cela aurait pu paraître des heures si ce qui s'était échappé de ses lèvres ridées n'avait pas été aussi immonde et monstrueux. C'est avec froideur et indifférence que Cicero répondit au petit garçon de ces mots tranchants et cruels malgré cette faible chaleur à peine visible derrière ceux-ci.


<<Jerome. Tu dois comprendre que le monde n'a rien à faire de toi ou de qui que ce soit d'autre. Il serait temps que tu l'acceptes.>>

GAGGYWhere stories live. Discover now