Refectoire

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Un déferlement. C'est la première chose à laquelle je pense quand Elias se met à hurler. Lui qui était calme la seconde d'avant, le voilà en rage. Il hurle, cri contre ma stupidité, et me sort un flot d'injures. Il prononce plus de gros mots que de phrases complète. Aïka se joint à lui, et ils sont deux à hurler, à crier, à insulter, à maudire mes ancêtres. Aïka parle un peu arabe, et elle lance des injures en cette langue qui me font frissonner. Je reste là, piteuse, avec mon plâtre noir de jais qui me pèse. J'ai les larmes aux yeux, mais il est hors de question que je les laissent couler. Je suis bien plus forte que ça.

Je ne pleurerais pas devant eux, par ce que pour moi, ma fuite valait le coup.

Elle valait d'être tentée.

Je ne sais pas combien de temps ils me passent un savon, mais quand j'entends Elias prononcer une phrase entière sans jurons et Aïka taire ses injures arabes, je considère que la fin est proche. Finalement, les machines s'arrêtent et Elias reprend son souffle alors qu'Aïka se masse la gorge.

- Je ne vais plus avoir de voix avec toi, grommelle ma mentor.

Comme si c'était ma faute si elle avait crié comme ça !

- J'espère que tu as compris, dit Elias. La prochaine fois que tu pars, je n'irais pas voir les Cold Blood ou les SOS. Je te laisserais crever.

J'hoche la tête. Compris. Enregistré.

- Bien. File au réfectoire et fais-toi oublier, tu veux.

C'est acide, méchant, sec, mais je ne relève pas et ne me fais pas prier pour boitiller jusqu'à la sortie. J'ai très vite mal à la jambe, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Donc je me tais. Je ravale mes larmes, je serre les poings, par ce que je ne peux pas m'effondrer comme une petite chose fragile. Je ne peux plus. Maintenant que j'ai joué la dure à cuire en partant, je ne peux pas faire la victime. Je dois faire la dure à cuire jusqu'au bout. Peut-être qu'à force de jouer ce rôle, je finirais par le devenir.

Je me dirige vers le réfectoire à cloche pied, en me tenant au mur.

Quand j'y arrive, les regards se tournent vers moi. Certains dégoûtés, d'autres admiratifs, quelques uns méchants et un ou deux jaloux.

Je baisse les yeux, tente de me faire toute petite, mais c'est peine perdue, on s'écarte sur mon chemin. Je comprends rapidement qu'ils ont très bien entendu les cris et hurlements de ma mentor et de leur chef.

Je saute jusqu'à une table branlante à l'écart, où je m'assois en faisant passer mon plâtre avec difficultés en-dessous.

Je garde les yeux fixés sur le bois, mon ongle grattant la surface, me fourrant  des échardes dans le doigt et sous l'ongle. Je grimace, mais ça m'occupe l'esprit, fait disparaître les regards.

Ces derniers se lassent, d'ailleurs. Une fois qu'ils m'ont bien vue, qu'ils ont vu mon plâtre, qu'ils m'ont vu gratter le bois, il n'y a plus rien à voir.

Il n'y a que Roxie et Arthur qui me fixent d'un air mauvais en marmonnant des trucs qui doivent être autre chose ça :

Arthur : elle est vachement belle !

Roxie : grave, je l'adore !

Arthur : Je m'efforce d'être hyper gentil avec elle.

Roxie : elle le mérite, elle est tellement géniale !

Non, je doute vraiment qu'ils marmonnent ça en me fixant avec des sourires carnassiers et des yeux noirs. Ces deux-là, je sens qu'un jour je vais criser et leurs sauter à la gorge.

Si je suis toujours là.

Je remarque que j'ai dessiné un cercle, et que mon ongle se détache. J'arrête immédiatement de gratter le bois pour tresser mes cheveux.

Je les tresse, les détresse, inlassablement, jusqu'à ce que le repas soit servit, et même là, je ne bouge pas de ma table, trop piteuse.

Je n'ai pas faim, de toute façon.

Si je mange, ça ressortirait direct.

Au bout d'une demi-heure, je me mets à tapoter sur le bois du bout des doigts pour créer des tempos et mélodie.

Le réfectoire se vide petit à petit, et il est bientôt vide, presque plongé dans l'obscurité, éclairé uniquement que par des bougies presque finies. J'ai pas envie de bouger.

Mon ventre grogne un peu, mais je sais que je ne serais pas capable d'avaler quelque chose.

Alors le temps passe, les bougies s'éteignent une à une, le noir s'installe.

Le sommeil me rattrape, mes paupières deviennent lourdes, j'ai de plus en plus de mal à tenir.

Finalement, je m'effondre sur la table, pour dormir.


Enfants Fugueurs MeurtriersWhere stories live. Discover now