Chapitre 2 :Lucie

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Moscou, 2085

— Grand-mère, as-tu Les Quatre Éléments ? me demande Carla.

Je sors de la pièce et reviens avec le vieux livre qui est toujours aussi abîmé qu'à l'époque. Je le lui montre et elle l'examine en silence, puis je reprends le cours de mon récit.

— Je disais donc qu'Arthur et moi commençâmes la lecture de ce roman très spécial. Je tourne la première page et nous nous plongeons à notre tour dans Les Quatre Éléments.

Les Quatre Éléments

À l'époque où l'espace n'était que néant, quatre sphères volaient dans l'univers encore inexistant. Le feu, l'eau, l'air et la terre. Un jour, les Quatre Éléments originels entrèrent en collision ce qui produisit le Big Bang ainsi que la naissance des galaxies et des constellations. Une fois les planètes et les étoiles créées, ils se séparèrent. Ils se divisèrent en une multitude de fragments qui tournent autour de chaque corps céleste et leur permettent de perdurer. Chacun est composé d'au moins un élément. Par exemple, l'élément de Mars est le feu et celui de Jupiter est la terre.

Cependant, ces planètes ne pouvaient abriter la vie. Alors les Quatre Éléments originels donnèrent naissance à plusieurs astres hors du commun répartis dans l'univers qui contiennent tous les éléments. La Terre est la seule planète du système solaire à les posséder. Quatre Éléments invisibles et immatériels gravitent toujours autour d'elle et sont connectés à elle et entre eux par des liens inapparents.

Sur chaque élément vit un peuple. Sans eux, la Terre disparaîtrait. Il est impossible de créer un passage menant à ces mondes situés dans une autre dimension. Seule une infime partie de ceux qui en sont originaires détient ce pouvoir. Toutefois, leur gouvernement n'autorisait pas l'ouverture de ces portails. Jusqu'au jour où les Quatre Éléments furent en péril...

*****

Région parisienne, 1981

Arthur Déane était un garçon réservé, peu sociable et solitaire. Fils unique, il passait ses journées dans sa chambre à rêver d'une réalité connue de lui seul. La présence des autres ne le dérangeait pas, mais il n'en avait pas besoin. L'adolescent était plutôt grand, mince avec des cheveux bruns en bataille, des yeux verts et un visage fin.

Il ne faisait pas partie de ces jeunes ayant pour ultime but de réussir dans leurs études. Contrairement à eux, il ne récoltait que des résultats exécrables. Il n'avait pas de passion particulière et se demandait souvent quelle serait sa place dans la société. Malgré toute sa bonne volonté, il ne trouvait pas de réponse à cette question.

Un jour, ses parents, exaspérés par sa nonchalance, eurent l'idée de l'envoyer en pension pour qu'il se reprenne en main. Ils lui firent remarquer qu'il venait d'avoir dix-huit ans et qu'il était important pour lui d'avoir le baccalauréat. Arthur protesta, mais cela ne suffit pas à changer leur décision. Il se résigna alors à entrer en classe de Terminale. À présent, il était assis sur son lit, les yeux dans le vague. Il se leva et prépara ses valises, le bus de l'école allait bientôt arriver et ses parents étaient déjà partis au travail. En ce matin nuageux, l'avenir lui semblait plus qu'incertain...

*****

Au même moment :

Lucie s'admira dans le miroir, la mine satisfaite. Elle sourit à son parfait reflet et se détourna pour lacer ses chaussures. Elle avait volontairement soigné son apparence en ce jour de rentrée, car elle ne souhaitait qu'une chose : être remarquée. Cette jeune fille de dix-sept ans et quelques était la plus populaire de son pensionnat, mais pas la plus appréciée. Elle avait un caractère rigide et ne dévoilait jamais la moindre vulnérabilité.

Elle n'était pas habituée à ce que quiconque lui résiste et s'affirmait sans cesse, n'ignorant pas à quel point la vie pouvait s'avérer ardue pour les natures trop obligeantes. Sa suffisance n'avait d'égal que son orgueil. Son esprit superficiel ne cherchait qu'à se divertir si bien que l'ensemble de ses préoccupations était centré sur elle-même.

Lucie avait appris au fil du temps à n'avoir confiance en personne. La vie n'avait pas été tendre avec cette dernière. Dès son plus jeune âge, ses parents étaient décédés dans un terrible accident de voiture et elle vivait à présent avec sa tante. Elle avait fermé son cœur et était devenue un être égoïste qui passait des heures entières à parfaire son aspect. Elle se perdait un peu plus chaque jour.

Elle ne croyait en rien, pas même en l'amour. Elle estimait que ce sentiment était simplement un autre mot pour désigner « attirance physique ». Pour elle, il n'existait que deux personnes qui s'étaient véritablement aimées : ses parents. Or, cet amour-là lui apparaissait synonyme de souffrance et de mort. Sans lui, les événements auraient peut-être tourné différemment... Ce jour-là, contrairement à ceux qui avaient précédé, Lucie se sentait heureuse. Sa joie était due au fait qu'elle s'apprêtait à repartir en pension. Elle pourrait ainsi éviter sa tante au moins durant la semaine. Après avoir préparé ses valises, elle descendit et entra dans la cuisine. En l'apercevant, sa tante vociféra :

— Mais qu'est-ce encore que cette tenue ?! Quelle provocation ! Un coup de vent et ta jupe s'envole ! Que vais-je faire de toi !

Elle la dévisagea avec animosité et répondit sèchement :

— Je m'habille comme je veux.

— Lucie... !

Et avant qu'elle ait prononcé un mot de plus, elle sortit pour attendre le bus sans même la saluer. Cette vieille femme lui avait toujours gâché la vie. Elle se rasséréna en songeant qu'elle ferait en sorte que cette année soit meilleure que les autres. Elle jubila intérieurement. Elle reverrait bientôt cette Harpie de surveillante et à nouveau elle la mettrait hors d'elle... La jeune fille entra dans l'autocar, un sourire insolent aux lèvres.

Les conversations s'arrêtèrent alors soudainement et tous les regards se tournèrent vers elle, impressionnés.

— Lucie, tu veux bien t'assoir à côté de moi ? demanda un garçon timide qui fit tomber toutes ses affaires lorsqu'elle passa près lui. La concernée le toisa, eut un rictus moqueur et le dépassa sans répondre. L'ami du pauvre bougre compatit :

— Je t'avais pourtant dit que c'était peine perdue.

Arthur quant à lui attendait le bus, l'estomac noué par l'appréhension. Il se ressaisit quand il vit le véhicule arriver et afficha un air décidé. À l'intérieur se trouvaient toutes sortes d'adolescents : des voyous, des intellectuels, des vantards, des personnes sans intérêts particuliers et la série d'adolescents habillés le plus mal possible. Bref, personne ne semblait faire attention à lui ce qui le rassura. Il passa devant deux inconnues ; l'une d'elles était brune et l'autre blonde.

Une fois à leur hauteur, il trébucha sur le siège de la fille à la chevelure claire et tomba lamentablement par terre.

Les deux amies se tournèrent vers lui en gloussant puis celle qui avait les cheveux sombres dit, alors qu'il se relevait :

— Regarde où tu marches, imbécile !

Il n'insista pas et sortit du coin des prétentieuses pour aller explorer celui des gens sans intérêt particulier qui l'accueillirent très gentiment. Il trouva très vite une place au sein de leur groupe. Le trajet se déroula paisiblement, sauf au moment où Lucie poussa un cri contre le malheureux qui avait accidentellement renversé du jus de fruit sur ses genoux. Elle l'aurait d'ailleurs certainement rendu sourd si un surveillant n'était pas intervenu à temps.

Les Quatre ÉlémentsWhere stories live. Discover now