Dimanche 27 décembre 1914

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Dimanche 27 décembre 1914

Je trouve enfin le temps d'écrire, après plusieurs mois j'en suis conscient. Je me trouve sur le front de l'ouest, je ne sais où précisément, en Belgique en tout cas. Mes vêtements sont pleins de boue, il y a longtemps que j'ai renoncé à les en débarrasser. Le froid est chaque jour un peu plus intense, mes camarades et moi même sommes épuisés. Mais je ne prends pas la plume ce soir pour me plaindre de mes conditions de vie. J'ai entendu dire que plus à l'Ouest, certaines divisions restaient plusieurs semaines en première ligne, alors que j'y suis depuis seulement cinq jours et que je repars demain vers l'arrière. Si j'écris ce soir, à la lumière d'une lampe à huile que j'ai réussi à dénicher, c'est pour relater les évènements de la nuit de Noël, auxquels j'ai eu la "chance" de participer. En effet, il était près de minuit lorsque nous avons entendu s'élever des tranchées adverses un chant, dont faute de comprendre les paroles, j'ai reconnu la mélodie. Douce nuit, sainte nuit. Celle que l'on nous apprend dès lors que nous sommes capables de parler. Puis le sergent Morillon, qui avait risqué une tête au dehors, a vu une longue rangée de sapins, tous éclairés, courir sur le long de la tranchée des Boches. Lorsque le chant s'est éteint doucement dans la nuit, nous avons vu avec stupeur les soldats allemands sortir de leurs tranchées et s'avancer sur le no man's land, sans armes. Un appel retentit, nous invitant à les joindre pour fêter la naissance de Jésus. Je ne sais toujours pas pourquoi, probablement dans un élan donné par une humanité soudainement retrouvée, j'ai été le premier à m'élever sur les échelles de bois qui permettaient habituellement de s'élancer sur le champ de bataille, fusil à l'épaule. C'est dans ce triste paysage, dévasté par les trous d'obus, que nos deux camps se sont retrouvés pour parler (autant que le barrage de la langue nous le permettait), échanger quelques présents. C'est dans ce triste paysage, éclairé par la lumière de l'aube, que nous avons joué au football le lendemain matin.

Cet évènement, bien que vieux de deux jours seulement, restera gravé dans ma mémoire à tout jamais.


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Auteur : @madrnt

Journal de bord d'un poiluWhere stories live. Discover now