Osmose

Chapitre I

- Tu ne devrais pas les regarder comme ça.

Marin sursaute en découvrant Gaël à ses côtés.

- Parce qu'il y a des regards autorisés et non autorisés ?

- Peut-être bien qu'il y'en a un d'obligé.

Elle écrase ses lèvres contre les siennes. Derrière eux les enceintes l'agressent, les lumières l'aveuglent, et ses nerfs ne cessent de se contracter. La salive de Gaël est si alcoolisée qu'une bouffée de chaleur l'envahit.

- Meuf, t'as bu combien de verre ? L'interroge-t-il en se détachant d'elle.

- On s'en tape non ?

- Non.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle pose ses converses sur la table basse et s'accoude sur le canapé. Son regard est bleu et Marin nage dedans. Il s'y noie parce qu'il ne trouve aucun mot pour se tirer de la situation.

- Rien.

- Marin. Je suis bourrée, pas débile.

- Je sais pas. Rien. C'est juste que ... Regarde-les.

Gaël les observe se déhancher dans la foule. Ils sont pelotonnés, comme cousus l'un à l'autre. Pénélope a enfoui son nez dans le cou de Timéo qui rigole. Sa peau bronzée est caressée par les jets multicolores des spots et les doigts pâles de sa copine entrouvrent un peu plus sa chemise à fleurs à mesure que la musique s'écoule. Gaël voudrait ne pas la voir, mais elle glisse immédiatement ses perles azur sur Pénélope. Elle a des yeux de chat dessinés par son eye-liner et une robe aussi noire que divine. Gaël ravale sa salive avant de s'emparer d'une bière qui traîne sous la table.

- Encore ? S'enquit Marin.

- Occupe-toi de tes oignons.

Elle finit par lui jeter un rapide sourire.

- Tu vois, ils sont heureux. Soupire le blondinet.

- Et alors ? Il y'en a plein des gens heureux. Y'a même une musique qui parle de ça : « La ballade des gens heureux ».

- La Ballade des gens heureux ! Chante Mars à tue-tête.

Il saute par dessus le canapé, étend ses jambes sur Marin et colle sa tête sur les cuisses de Gaël.

- Vous parliez variété française ? Vous devez bien vous faire chier ! Allez ma poule, tire là-dessus c'est de la bonne !

- Non, merci.

- Tu changeras jamais. Soupire Mars. Gaël ? Poursuit-il en tendant son joint vers le plafond.

- Ouais, merci.

Elle le coince entre ses lèvres et fixe Pénélope. Elle mord l'oreille de son copain autant que Gaël mord sa langue à elle. Pénélope croise son regard et Gaël tire intensément sur sa clope sans la moindre expression.

- Bon. On boit ou on s'encule ? Lâche Mars en piquant la bouteille de Vodka stabilisée entre les pieds de la tireuse de joint. Tu peux la lâcher maintenant, je vais prendre soin d'elle.

Elle explose de rire :

- Pardon, j'avais même pas fais gaffe.

- Ouais c'est ça, je sais bien que tu louches dessus depuis notre arrivée.

Elle rit de plus belle. Il fallait toujours qu'elle soit si spontanée. C'est peut-être ce qui manquait à Marin finalement, la spontanéité. Et le lâcher-prise peut-être aussi. Gaël avait la tête de Mars sur ses cuisses et s'en contrecarrait, tandis qu'il avait ses jambes sur les siennes et n'osait plus bouger ni émettre le moindre bruit. Pour ainsi dire, il avait mué en un coussin de ce canapé.

- Bon, je vais vous laisser, on m'attend sur la piste.

- Personne ne t'attend sur la piste Michaël !

- Te fous pas de moi, c'est mon esprit tout entier qui hurle mon nom. Tu l'entends pas ?

Mars pousse un dernier cri de folie avant d'imiter un guitariste au milieu du salon. Les autres explosent de rire et se prennent au jeu immédiatement. Même Timéo se détache de Pénélope pour faire un présentateur télé.

- Et je vous présente... Notre putain de vedette de fou! Mars Brantrad !

- Mec le nom de famille t'étais pas obligé.

Ils se serrent dans les bras.

- J'ai rien à faire là, Confie Marin.

- Putain mais qu'est-ce qui t'arrive ? Tu vas me le dire ?

Il secoue la tête en tentant de réguler sa respiration, fixe la veste mauve et débordante de paillettes de Mars et disparaît dans les toilettes en laissant Gaël sur la touche.

- Mais merde ! Souffle-t-elle en le voyant lui tourner le dos.

Il arrive aux toilettes et reste un instant ainsi. Les sourires tournent dans son esprit, et les rires embrument ses oreilles à la manière des vapeurs d'alcool. Sur son téléphone, au moins dix messages non-lus de Blaise. Il lâche une larme dans le lavabo.