Chapitre II

17 0 0
                                    


Entre les mèches entortillées de Gaël, les doigts de Cleofée passent. Elle inspecte les lueurs mordorées qui s'agrippent à ses cheveux et son soupir matinal qui glisse entre ses lèvres. Le meilleur instant est celui où elle ouvre ses yeux et où leurs couleurs bleu fumé entre en cohésion avec ses tâches de rousseur. Le mélange parfait.

- Cleofée ? Questionne-t-elle embuée par le sommeil.

- Oui. C'est moi.

- Dis-moi où on est ... Fait-elle en souriant.

A travers les rideaux, le soleil coule sur le parquet parisien.

- Nous sommes ... Révèle Cleofée en réfléchissant, chez moi.

Les extrémités de ses lèvres se soulève. Comment peut-elle hésiter à lui dire où elles sont si elles sont chez elle? Mais Gaël garde encore un peu les paupières fermées, histoire de préserver les rêves de la nuit encore un dernier instant.

- Où sont les autres ?

- Les filles sont là, sauf Pénélope qui est restée chez elle pour ranger avec son mec et les garçons.

A l'image de la brune, Gaël ouvre les yeux subitement.

- Qu'est-ce qu'il y'a ?

- Rien.

Elle se lève mais sa tête tourne et elle prend quelque temps pour récupérer son équilibre.

- J'étais dans le même état tout à l'heure, Rit Cleofée.

- On a abusé. Conclut Gaël.

- Tiens !

Marthe lui tend une infusion. La chaleur se repend en elle et décontracte peu à peu ses muscles.

- Je t'aime.

Marthe lui jette un clin d'œil en guise de réponse.

Gaël lorgne autour d'elle le corps de ses amies assoupies, et se dirige vers la baie vitrée. Derrière celle-ci le monde est gris. Les nuages ​​sont ficelés les uns aux autres lourds de larmes qu'ils retiennent et l'odeur de l'essence naît des voitures qui vont et viennent sur le sillon de la vie. Ses yeux se perdent peu à peu dans une fenêtre de l'appartement d'en face. Elle sort sur le balcon pour mieux la décélérer, et s'allume une clope. Deux jeunes lisent le journal sur un lit. Elle rit, c'est si parisien comme image ! Et pourtant elle ne sait pas bien ce qu'elle donnerait pour remplacer l'un des deux. Elle est heureuse, bien sûre. Mais toujours ce vide au fond d'elle qui crie famine, et qu'elle n'écoute pas.

La baie vitrée s'ouvre à nouveau, mais le feu au bout de sa cigarette passe en premier plan. La braise crépite et en l'aspirant elle l'éteint. Elle aime avoir le contrôle du feu, elle aime ce désir de suspendre ces étincelles, puis de leur rendre la liberté jusqu'à ce qu'elles se meurent d'elles-mêmes.

- Ça va ?

La voix de Pénélope l'extirpe brutalement de sa transe.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Sa voix grave et brisée ne se voulait pas sèche et pourtant, ses mots avaient déchiré toute douceur.

- Je veux dire, t'es pas chez toi ?

Elle glisse une mèche d'ébène derrière son oreille avant de creuser l'horizon de ses pupilles.

- Je voulais vous voir. J'ai passé tout mon temps avec Timéo hier.

Gaël ne répond pas. C'est peut-être parce qu'elle n'a rien à dire de cohérent. Pourtant elle pourrait dire des tas de choses, ce n'est pas comme si rien ne lui traversait l'esprit, mais encore une fois, rien de particulièrement raisonné.

Sa touffe de cheveux châtains remue dans le vent, une mèche voile ses yeux imperméables mais douloureusement beaux, et ses lèvres libèrent ce poison de nicotine que Pénélope regarde avec une boule dans la gorge. Elle ne tarde pas à rentrer sans un mot, avec ce simple sourire faussé qu'elles s'adressent souvent. Parfois, elles songent qu'un sourire ne peut pas faire de mal, puis quand elles réalisent toutes la compassion détestable qu'il comprend, ce n'est plus qu'une réalité décevante qui s'inscrit dans leurs traits.

   Sur son téléphone, le nom de Marin s'affiche.
Marin a été là avant les autres, et pourtant elle a souvent la sensation d'être son « après ». C'est étrange à dire, mais ils ne se disent plus rien. Ils se voient, ils savent, mais ils se taisent comme si dire un secret à l'autre c'était brûler avec. Alors après tout ça, après les heures à gribouiller des dessins dans un grenier à la campagne, ces balades en canoë à ramer dans le vent et le sel de la mer, ces heures volées à rire devant des adultes qui leur ordonnaient d'arrêter, et ses jeux sur le sable qui n'appartenaient qu'à eux, ils devenaient extérieurs à la vie de l'autre. En fait, la seule chose qu'ils échangeaient encore, c'était leur salive dans les soirées ambiancées. Comme ça. Pour rien. Parce que Gaël voulait.

Elle décroche, muette.

- Gaël ?

- Mm.

- On m'a dit que ... Qu'on allait partir.

- Où ?

- Je sais pas, les filles veulent qu'on se loue un truc la semaine prochaine ... Histoire qu'on passe les vacances tous ensemble.

- Ah. Et alors ? Ne m'annonce pas ça comme un acte de décès. On en tous marre de Paris.

Juste son souffle dans le combiné.

- C'est quoi le truc, tu peux pas venir ?

- Oui. Enfin, j'en sais rien encore.

- Ça veut dire quoi ? Qu'est-ce qui coince ?

Il se tait à nouveau.

- Marin, pourquoi est-ce que tu m'appelles si c'est pour ne rien me dire ?

- Désolé.

- J'en ai rien à faire de tes excuses. Sois tu me parles, sois tu ne le fait pas mais arrête de faire à demi. C'est une perte de temps. Tu parles, tu essaies de me parler, puis tu te dégonfles, ok ! Très bien ! Pas de soucis ! Moi je t'oblige à rien mais je ne peux pas être là pour toi ni t'aider si toi tu ne le veux pas. 

Puis elle raccroche et Marin serre les poings, chez lui, dans son appartement. En ébullition. Prêt pour une explosion.

OsmoseWhere stories live. Discover now