08 || J'AI DÛ REFRÉNER MA BELLE FOLIE

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         Elle est assise juste devant moi, à quelques rangées près. Je sens son odeur à travers celle immonde de transpiration et de renfermé. Je sens son parfum, un parfum inconnu qui diffuse de la vanille et du miel, puis derrière cette senteur artificielle, je sens sa propre odeur, son odeur corporelle, celle que je respirais dans ses cheveux quand je la prenais dans mes bras étant enfant. Celle odeur, cette odeur qui m'a tant réconforté, cette odeur qui m'a tant manqué, cette odeur, j'ai l'impression de retrouver l'odorat, comme si mon nez n'était jusqu'alors qu'un épais amas de chair, j'ai l'impression de sentir de nouveau, comme si je n'avais plus rien respirer depuis dix ans. Avec elle, je retrouve mes sens petit à petit. Je trouve la vue. Je retrouve les couleurs, j'avais oublié à quel point le noir était noir et le beige était beige. A l'idée que son regard soit présent de l'autre côté de sa chevelure, mon cœur s'accélère. Je veux savoir si le brun de ses tâches de rousseur est toujours aussi brun, je veux savoir si le rouge de ses lèvres est toujours aussi rouge, je veux dessiner les nouveaux contours de son nez et de son menton et de ses sourcils et de ses tempes, je veux qu'elle cligne des paupières et voir ses cils qui s'entremêlent, j'ai besoin de voir ses lèvres bouger comme j'ai besoin de l'entendre. Oh, sa voix me manque, je me demande à quoi elle ressemble maintenant. Son timbre est-il toujours le même ? Son sourire rayonne-t-il toujours autant ? Et son rire, son rire, je dois entendre son rire, il a émerveillé chacune de mes journées pendant des années, j'ai besoin de l'entendre rire, cela me raidit, j'en ai des tensions dans le cou, mes doigts se crispent. Elle est là, elle est là juste devant moi, deux mètres peut-être, il me suffirait d'un geste, de tendre le bras, un peu plus, il suffirait que je cris son nom, oh, Vic, elle est revenue, tu es revenue, tu es là mais je ne peux t'atteindre, c'est ton souvenir qui m'a maintenu en vie, je me suis tant demandé si tu étais vraiment partie, dix ans à se demander où tu étais, ce que tu faisais, si tu n'étais pas morte. Dix ans à attendre, à réfléchir, dix ans à pleurer, mais tu es là maintenant, tu es là, juste devant mes yeux, ce n'est pas un mirage, je ne suis pas fou, je ne suis pas malade, tu es là, Victoire, Victoire, dis moi que tu es là, dis moi que je t'ai manqué, dis moi que tu ne m'as pas oublié, je pleure, je pleure, je pleure et je me demande si tu entends mes sanglots ou si je pleure vraiment si ma tête implose ou si mes émotions se noient Victoire Vic c'est toi, c'est toi Victoire, Victoire, Victoire...


         — Gus ! Gus, viens, viens jouer au chat avec moi !

        — Je suis fatigué...


        Je suis fatigué, je suis fatigué, fatigue, la fatigue s'empare de moi d'un coup et m'ass...


          — Augustus ! Touché ! C'est toi le chat, tu es obligé de jouer, maintenant !

        Je grogne, je grogne, mais je me lève, je me redresse, et d'un geste fatigu...


          Fatigué, je laisse de nouveau tomber mon livre, et mon marque page, et mon stylo, et ma tête sur le sol. Je me baisse de nouveau. J'en ai des nausées. Je me sens vaciller un instant, et quand je me redresse, l'acide me brûle l'œsophage. J'en ai des vacillements, Dieu sait, je vois le monde en double, en triple, je crois perdre les pédales.

          Je lutte pour reprendre mes esprits pourtant sous mes yeux se superposent plusieurs Victoire, et je ne sais plus si je louche ou si plusieurs générations se mélangent sous mes yeux. Je me sens tressaillir, alors que je bascule la tête en arrière, et là, et là...

Oxymores EcchymoséesWhere stories live. Discover now