12 || UN SOIR EQUIVOQUE D'AUTOMNE

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          Quand j'ouvre les yeux, Maxine a disparu.

          Le soleil tire doucement sur les rideaux; nous avons omis de fermer les volets cette nuit. Je suis allongé à même le sol et une affreuse douleur me prend autour des épaules lorsque je me redresse enfin. Tout mon corps est endoloris, et tandis que j'émerge, un simple regard vers la fenêtre me rassure: l'aube brûle encore dans le ciel, c'est à peine s'il doit être sept heure. Je cligne plusieurs fois les yeux et doucement les souvenirs d'hier me reviennent. Les caramels, le jeu vidéo. Mes amis. Mon regard file alors vers Julio, avachi près de moi, sa tête calée sous un coussin. Ses traits se dessinent sous la lumière du soleil levant et son visage semble paisible. En le voyant comme cela, il est difficile de croire que la vieille, son corps entier était secoué par les pleurs; ses yeux rouges et gonflés par les larmes n'étaient plus qu'un mauvais rêve. Puis je me tourne vers la place où se trouvait Maxine. Elle a laissé sa place à une vieille couverture froissée. D'un geste, je l'effleure; elle est déjà froide. La rousse a dû partir pendant la nuit.

Julio émet un léger bruit de gorge. Tandis que je m'accroupis, commençant à rassembler le bazar que nous avons laissé, il marmonne d'une voix pâteuse:

– C'est le matin... ?

Son air fatigué et niais me fait échapper un gloussement, qui ne dure pas. Une seconde plus tard, il se tient le ventre, et je m'empresse de lui tendre une poubelle avant qu'il ne vomisse. J'essaye tant bien que mal de tenir son t-shirt de pyjama pour ne pas qu'il s'en mette partout; son corps est tellement frêle que je dois serrer ses épaules pour ne pas qu'il se noie dans la poubelle. Une fois que son corps a rejeté tout l'alcool qu'il s'est avalé hier soir, Julio se laisse tomber dans mes bras.

— ça va mieux ? demandai-je alors d'un sourire.

— Hum, grommelle-t-il avant de s'arracher à mes bras en vacillant.

Je ne peux m'empêcher de rire, cette fois-ci. Je me redresse, j'ouvre la fenêtre pour faire circuler l'air puis je noue le sac poubelle, résolu à ne pas empester la pièce plus souvent. Et puis, quand mon colocataire arrive enfin à tenir sur ses genoux, on se résout à ranger notre chambre. Enfin, ranger. On empile les draps, les couvertures et les coussins dans un coin, on débranche la télévision et on ramasse les quelques ordures qu'il reste. Il reste un fond de bouteille de whisky (dont le contenu est plutôt aqueux, maintenant), et on la fait disparaître dans un tiroir. Une fois que le sol est débarrassé, je me décide à m'habiller. Même si je suis épuisé par les évènements, j'ai quand même cours, aujourd'hui. Et comme je ne sais pas quelle heure il est, il faut que je sois prêt quand la sonnerie en décidera. Je me souviens alors que je n'ai même pas commencé mes devoirs... ils devront attendre que j'aie enfilé un pantalon.

Chose faite, j'en profite pour me laver les dents et passer un coup d'eau sur mon visage. Le miroir devant moi, je fais face à mes cernes, à mon reflet défait et affreusement fatigué. Pourtant, je dois le reconnaître. Je n'ai jamais eu l'air aussi heureux.
De retour dans la chambre, je m'assois sur le sol et j'ouvre mon livre de mathématiques. Julio, assis à un mètre, est occupé à lasser ses Converses. Et là, sans relever les yeux, il me prend de court:

— Alors c'est qui ?

— De quoi, c'est qui ?

— La fille que tu aimais.

Que j'aime encore, j'ajoute intérieurement, sans pouvoir m'en empêcher, et c'est la première fois que je m'en rends compte à ce point. Cette vérité absurde me frappe en pleine figure et j'en reste sonné un instant. J'avais été sot pour ne pas m'en rendre compte aussi clairement avant. Cela est vrai, pourtant. Vrai, et clair, aussi limpide que l'eau du ruisseau dans lequel nous jouions. Je l'aime, je l'aime à un point indéfinissable, et là toutes mes angoisses reviennent, je pensais les avoir oubliées, enterrées au plus profond de moi mais non, j'ai peur de ne jamais arrêter de l'aimer, j'ai peur que l'ombre de cet amour dérisoire me hante et me poursuivre toute ma vie.

Oxymores EcchymoséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant