9 || Oubliez les heureux

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Un ciel gris pour une soirée claire, le béton humide par temps fébrile, un automne qui se termine, une école primaire encore ouverte, douce lueur orangée des réverbères, un trottoir sale, où deux jeunes enfants sont assis. C'est leur première année à l'élémentaire. Une petite fille, dont la chevelure absorbe la faible couleur de la lune au-dessus d'elle, cette même lune qui peine à sortir des nuages, et un petit garçon, dont la tignasse fleurie semble orangée à la lumière navel de l'éclairage. Elle, elle est recroquevillée dans l'ombre du garçon, ses genoux contre sa poitrine, la tête vers le sol, le regard dans les vagues des cailloux du goudron vieillissant. Son pouce et son index s'enroulent autour d'une mèche rebelle au rythme de son stress. Lui, il se perche près d'elle, il a posé une main protectrice sur son épaule et ses yeux brillent d'un triste éclat. Malgré leur jeune âge, il y a une telle tristesse, une telle mélancolie dans leur regard. Leurs faibles traits, dessinés comme au crayon à papier, se tordent en grimace anxieuse. Sur les joues de la petite fille, des larmes roulent parfois, elles ruissellent en cours d'eau silencieux avant de s'écraser sur son blouson. Elle semble trembler, de froid peut-être, de froid ou d'anxiété, il est tard, a-t-elle peur ?

— Victoire, chuchote le petit garçon, tu sais pourquoi tu pleures ?

Elle se meurt dans un silence macabre. Les nuages au-dessus de leur tête grondent doucement. Un orage se prépare. Puis doucement, elle pleure, elle pleure et quand elle pleure le ciel pleure aussi. Quand un nouveau sanglot la prend, le tonnerre s'afflige aussi au loin. Un tumulte du ciel et des yeux qui se mélangent en douce plaine douloureuse.

— Ma maison, dit-t-elle douloureusement entre deux sanglots. Ma maison... je veux pas y aller.

Elle n'ajoute rien, et elle pleure de nouveau. Elle sanglote et le ciel l'accompagne maintenant, une harmonie neurasthénique qui résonne en plein cœur de l'automne. Elle, trempée autant par ses larmes que par la pluie. Et lui.

Lui, il subit les pleurs et l'orage. A vrai dire, l'orage ne lui importe pas. Non, l'averse qui le brise, l'averse qui le fait se sentir impuissant, c'est celle qui s'abat sur les pommettes de son amie.

— Tu... tu veux venir chez moi ce soir ?

Alors la petite fille lève son regard onyx vers le petit garçon. Un éclair d'espoir s'allume dans le trou noir de ses iris. Doucement, la pluie s'arrête, ses yeux cessent de couler. Elle hoche docilement la tête.

Le petit garçon se redresse sur ses pieds. Une fois debout, il tend sa main à la petite fille et, ensemble, ils quittent le perron de l'école, le ciel de novembre reprenant sa respiration à leur dessus.

Oxymores EcchymoséesWhere stories live. Discover now