Tumeur

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Qu'est-ce qu'une tumeur ? La première chose que je fais est d'ouvrir mon ordinateur, afin d'y chercher les réponses à mes questions qui affluent par centaines. Meurt-on d'un cancer du sein ? Oui. Maman peut mourir ? Oui.

Je ne veux pas y croire. Je la sauverai, je l'aiderai à vaincre cette saleté qui s'est développée en elle. Je cherche encore plus d'informations sur le cancer du sein. Rassurant. Ils disent que neuf femmes sur dix sont soignées. Tu en feras partie ! Evidemment que tu vivras ! Ils disent qu'une tumeur qui ne s'est pas encore développée ailleurs est soignée dans 90 pour cent des cas. Mais toi maman, tu es au stade 4 de la maladie. Papa l'a dit au téléphone. Je réalise que le stade 4, c'est grave, bien plus grave que les autres.

L'issue est souvent fatale. Oui mais je ne dois pas croire tout ce qu'on lit sur internet. Ce qui me fait peur, c'est que maman aussi va chercher des réponses. Et elle les trouvera, comme moi. Il faut que je la rassure, que je sois là. Il faut que je sois forte pour elle.


Mes parents rentrent de la consultation. Mon père a les yeux vermeils tant il a pleuré sur la route. Ma mère est triste, apeurée, mais elle joue si bien son rôle de maman qu'en entrant elle me lance un "ça va aller ma chérie" qui me rassure un peu. Je lui fais un câlin, je sais que désormais, tout la force qu'elle puisera en nous sera bonne à prendre.

Dans ces moments-là, une famille se resserre. Les liens du sang n'ont jamais été aussi forts que lorsque tu es tombée malade. Cette maladie nous apporte déjà des joies malgré nos peines. On ne peut que la remercier de nous avoir unis comme elle l'a fait. Je ne t'ai jamais aimée autant que lorsque j'ai appris qu'un jour peut-être, je te perdrais. On pense toujours les mères invincibles, lorsqu'elles deviennent fragiles, l'amour décuple.


Mi février 2013

Maman a du faire des examens complémentaires. Au scanner, ils n'ont rien trouvé. Je suis un peu rassurée. Elle aussi.

Un soir, je rentre de l'école, mes parents ont eu la nouvelle. Le foie est métastasé. Le second sein possède une petite tumeur, et les reins ont l'air atteints également. Papa m'annonce ça serein, et moi je sens l'angoisse du vide monter. Je ne comprends pas comment tout cela a pu arriver, mais il faut qu'elle s'en sorte. Il faut que maman vive.

Quelques jours passent, les examens complémentaires de maman affluent. On lui fait une biopsie du foie pour savoir quel traitement elle devra recevoir. Elle souffre. Elle me dit qu'elle a eu mal, et pourtant maman ne se plaint jamais. Je suis tellement triste qu'elle doive passer par là... Mais c'est pour la guérir, et dans quelques mois, maman sera soignée.


Fin février 2013

A l'école, une seule amie est au courant de ce qui arrive dans notre famille. Je n'en ai pas parlé aux autres. Aujourd'hui, papa doit me téléphoner pour me dire si le foie est traitable et si c'est guérissable. Durant le cours de sciences, l'éducatrice m'appelle. Je la suis et je prends le téléphone. Papa est au bout du fil, il m'annonce la réponse des médecins. Le foie de maman n'est pas guérissable. En d'autres termes, on peut mettre les métastases sur pause, mais elles ne partiront jamais. Maman devra subir des traitements toute sa vie, si ces derniers fonctionnent... Je tente de le rassurer, du mieux que je peux, et en même temps je tente de me rassurer moi-même. Je lui dit que ce n'est pas grave, qu'elle aura des traitements toute sa vie mais que tout ira bien. Je raccroche et m'effondre. Les larmes coulent le long de mes joues rondes, je ne peux plus m'arrêter de pleurer. L'éducatrice ne comprend pas. Je lui explique la situation.

Elle me demande si je souhaite avertir les professeurs, je lui dis que oui. Si je dois recevoir un appel, au moins, ils seront au courant. L'éducatrice sort avec ma professeur de sciences et lui explique. Je vois les yeux de cette femme se remplir de larmes, et venir vers moi afin de me prendre dans ses bras. C'est le moment le plus réconfortant que j'ai vécu depuis des semaines. Elle m'explique que son mari a vécu ça lorsqu'il était encore jeune, et qu'il s'en est sorti. Elle me dit de me battre, de ne pas perdre espoir, et elle me remonte le moral. La cloche retenti, les élèves sortent de la classe. Ils m'observent, ils ne comprennent pas, ils sont curieux. Il faudra bien leur annoncer à un moment ou à un autre. Je pense que le moment est arrivé.


Je monte deux étages et me dirige avec mon amie vers la classe pour notre prochain cours. Je lui explique ce que les médecins ont dit. Elle me soutient, ça me fait du bien. Mes yeux imbibés de sang trahissent mon état. Je demande à mon amie de prévenir la professeur et de lui expliquer ma situation. Elle ne me dit rien, et nous demande de faire des groupes afin de travailler sur un sujet. Nous sommes trois, Marco, Jess (mon amie), et moi. Lorsque tout le monde est installé, la professeur arrive près de moi et me demande alors "ta maman est malade elle a un cancer ? Explique-moi". Je vois le visage de Marco se décomposer, lui qui n'était pas au courant. J'explique la situation. Elle ne tente pas de me rassurer mais agit objectivement. 

Aujourd'hui, avec le recul, je comprends ce qu'elle a voulu faire ce jour-là.

Lorsqu'elle reprend la ronde dans la classe, mon ami s'excuse, me dit être désolé pour moi, qu'il ne savait pas. Je lui réponds qu'il n'y a aucun souci. A la fin du cours, j'en parle à quelques élèves. Ils ne disent rien, ils perdent leurs mots. Certains me donnent du courage, d'autres m'adressent un sourire, mais tous me disent être présents si j'ai besoin de quoi que ce soit. C'est aussi ça la maladie, avoir des gens qui nous soutiennent, un peu, beaucoup. C'est ce qui nous maintient debout.


Aujourd'hui, j'espère de tout coeur que jamais tu ne t'es sentie seule durant ces moments douloureux maman. Je veux que tu saches que j'aurais décroché les étoiles pour toi, j'aurais déplacé la lune si elle avait pu t'apaiser la nuit. J'aurais tout fait pour que jamais tu ne ressentes le vide qui me serre le coeur aujourd'hui, maintenant que tu n'es plus là.

SurvieWhere stories live. Discover now