Université

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Maman reste à l'hôpital le temps qu'on reçoive ses résultats. Je passe la voir tous les jours. Elle est en pleine forme, c'est difficile d'imaginer qu'elle a des métastases au cerveau. Parfois j'espère encore que ce n'est pas ça... Qu'on l'opèrera bientôt et qu'elle subira un traitement de fond. J'espère qu'on reprendra une vie normale tous les trois, qu'on voyagera, qu'on passera des décennies ensemble... Et parfois l'espoir s'estompe, il s'effrite à la vue des médecins, des hôpitaux, des malades qui ne viennent plus en consultation avec maman parce qu'ils sont partis trop tôt... Je me demande ce qu'elle doit ressentir. Est-ce qu'elle a peur d'être la suivante à ne plus être présente aux consultations ? A t'elle peur de mourir ? Oui, certainement. Il faut que je lui enlève ces idées, que je la fasse vivre, à travers moi aussi. Je passe mon temps à lui raconter ma vie, ce que je fais, et surtout je parle d'avenir. Très souvent, maman et moi rêvons ensemble d'un avenir parfait. On parle des chevaux qu'on aimerait avoir chez nous dans une ancienne fermette rénovée, on parle de pays qu'on aimerait visiter, je demande à maman son avis sur des prénoms pour mes futurs enfants. Je lui demande si elle a hâte d'être Mamy, son visage s'illumine et elle me dit que oui, elle les gardera avec plaisir.

Cinq années plus tard, je ne veux plus d'enfants. Maman, j'ai peur de tout. Cet avenir qu'on s'était construit n'existera jamais, j'ai peur de perdre ceux que j'aime. Faire des enfants maman ? Et s'ils tombaient malade. Ces pensées ne m'effleuraient pas l'esprit auparavant. Et moi, si je tombais malade et qu'ils se retrouvaient sans maman, comme moi... Et puis sans toi, tous ces projets me rappellent que tu n'es plus là pour les vivre à mes côtés. Maman, j'aurais aimé tout partager, que tu vois ta fille se construire, grandir, au lieu de ça, je suis désormais sans toi. Ce vide qui a pris ta place ne rate pas une occasion de me rappeler que tu n'es plus là pour vivre avec moi les joies et les peines de la vie. 

Quelques jours après mon retour de vacances, le médecin va passer annoncer les résultats à maman. Je suis chez ma grand-mère. C'est elle qui prend l'appel, nous l'attendons depuis ce matin. Elle décroche, maman lui annonce que ce sont des métastases au cervelet. Ma grand-mère craque, elle pleure comme jamais elle ne l'avait fait. Je m'effondre à mon tour dans ses bras. Maman va mourir. Comment va-t-on la soigner maintenant qu'elles attaquent le cerveau ? Nous sommes toutes les deux en larmes, sans pouvoir nous reprendre et surmonter cette douleur. Ma Mamy parvient néanmoins à reprendre son rôle maternel qui veut qu'elle me protège quoi qu'il arrive. Mais les larmes coulent encore et encore et mes yeux rouges n'y voient plus clair. Que vais-je devenir sans maman ? Je ne me vois pas d'avenir sans elle. Elle est mon pilier dans ma vie, on ne peut pas vivre sans ses parents. Pas à mon âge ! Je veux que maman vive toujours ! Je veux qu'elle se batte et qu'elle ne meure jamais ! L'enfant qui est en moi ressurgit à l'idée de perdre sa mère. On n'est jamais préparé à la Mort, encore moins lorsqu'elle devient concrète. Il va falloir que nous soyons fortes, et que maman ne voit pas à quel point ma grand-mère et moi sommes terrorisées.

Dans l'après-midi, nous partons à l'hôpital. Maman est une guerrière, comme d'habitude elle nous accueille avec le sourire. C'est comme si elle n'avait rien. Elle nous dit qu'elle va les avoir ces saletés, et que tout ira bien. Qu'on fera d'autres chimiothérapies, qu'il y a aussi des laser possible et qu'elle s'en sortira. Elle n'a jamais émis l'hypothèse que ça puisse mal se passer.

Nous passons du temps ensemble, nous rions, nous parlons, nous vivons. Il faut vivre tant qu'on en a le temps. Il faut aimer, il faut profiter de chaque seconde passé avec nos proches. On ne le comprend que lorsqu'ils sont condamnés.

Lorsque je sors de sa chambre, je suis rassurée, mais je contiens mes larmes. Je ne sais plus que penser. Je suis terrorisée, mes poumons sont oppressés, mon estomac se tord, j'ai des difficultés à respirer, ma vue se brouille légèrement, mais je ne laisse rien paraître. Il ne faut pas qu'ils sachent ce que je ressens, je ne peux pas leur montrer ma crainte. Si j'ajoute cette angoisse à mes parents, ils perdront leur force. Celle qui fait qu'on y croit encore, qu'on y croira toujours. Cet optimisme et cet espoir qui nous tiens en vie, ensemble, plus forts que jamais.

Quelques jours ont passé, papa et moi sommes allés tout placer dans ma chambre d'étudiant dans l'université que je vais intégrer. J'ai à la fois hâte, et je suis en même temps terrorisée. Dans quelques jours, je serai pour la première fois, loin de mes parents, seule, avec des gens que je ne connais pas qui partageront la cuisine et le salon. Je n'ai jamais aimé les changements, ils me font peur et m'empêchent d'avancer.

Je vais voir maman à l'hôpital pour la dernière fois avant de partir pour l'université. Mon copain et moi restons ensemble jusqu'aux environs de 20h, puis il repart dans sa chambre, située à une vingtaine de minutes à pied. Lorsqu'il part, je m'effondre comme un enfant que l'on aurait abandonné sur un parking. Les larmes ruissellent le long de mes joues encore et encore. Seule, dans cette chambre vide, sans mes parents, il n'y a pas de moment où l'on se sent plus vulnérable que lorsqu'on est séparé d'eux  pour la première fois. Ils sont notre repère, ils sont tout ce que l'on a toujours connu, ils sont synonymes d'amour et de protection; et en une journée, nous nous retrouvons seul, si loin de nos habitudes, qu'il est difficile de survivre à cette première nuit.
Mon premier réflexe est celui d'une petite fille apeurée, j'envoie un sms à maman lui disant que je suis en pleure, que je ne veux pas rester ici. Dans la minute qui suit, papa me téléphone. Je n'arrive pas à lui répondre, je laisse sonner. Je lui envoie un message disant que je ne saurais pas lui parler... Les sanglots se font plus forts encore, même si je le voulais, je ne pourrais dire un seul mot à mon père. Je reçois un sms de sa part « si ça ne va pas je viens te chercher, ce n'est pas grave ».

Je me souviendrai toujours de ce texte, simple et efficace. Ils étaient là, si j'en avais besoin ils me protégeraient toujours. Je me suis sentie aimée, rassurée, ils jouaient si bien leurs rôles tous les deux. Maman pleurait à cause de moi. Ce soir-là j'ai été égoïste. Maman était à l'hôpital pour des métastases au cervelet, et je l'ai rendue triste alors que j'aurais pu ne pas le faire... Mais j'avais besoin de ma mère ce soir-là, comme beaucoup d'autres... Aujourd'hui je ne peux plus lui évoquer ma peine ou ma peur, elle n'est plus là pour me répondre et pleurer avec moi.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 17, 2019 ⏰

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