Mastectomie

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C'est les vacances ! Je profite de maman. Notre quotidien est parfait. Je me lève toujours après elle. Je prends mon déjeuner et elle reste auprès de moi pendant ce temps. On parle de tout et de rien, j'adore ces moments qui n'appartiennent qu'à nous. Ensuite, notre petit rituel commence. On regarde une série des années 90 que maman adore qui lui rappelle sa jeunesse, en mangeant un biscuit et en buvant un café. Pour rien au monde je n'échangerais ces instants. Après on zappe un peu, souvent on laisse la télé en fond mais on joue sur l'ordinateur. A midi on mange ensemble, une tartine avec de la charcuterie ou du fromage. On digère quelque peu, pour ensuite faire un peu de ménage et de rangement. A deux ça va plus vite. Papa travaille, maman aime que ce soit en ordre lorsqu'il rentre. On prépare le souper vers 18 heures. Ce moment est convivial, ça a toujours été important chez nous de manger ensemble. On se raconte notre journée, on discute, c'est ça une famille. Dieu sait que je l'aime cette famille. Le soir, papa choisit souvent un film parce que maman tombe presque toujours endormie à la moitié. Le lendemain, tout recommence. J'aime cette routine. En plus de tout ça, nous passons voir ma grand-mère paternelle le samedi, ça nous fait un moment convivial où on peut parler d'autres choses. Des cousins, de ma tante et mon parrain qu'on voit aussi de temps à autres le samedi. Ça fait du bien. En semaine, maman passe souvent voir ma grand-mère maternelle. Je pense que ça lui fait du bien à elle aussi d'avoir sa maman à ses cotés. Elle voit sa sœur plus rarement car elle habite plus loin, mais lorsqu'elles se voient je sais que maman est heureuse.

Ces journées de juillet resteront gravées dans mon cœur à tout jamais. Rien ne pourra effacer cette période de ma mémoire. Malgré la maladie, nous avons parlé, ri, aimé, partagé. Nous avons  vécu. Lorsque j'y pense, égoïstement j'aimerais retrouver cette vie et cette routine. Même avec ta maladie et ta souffrance, je donnerais tout pour revivre une journée à tes côtés.

Le mois s'écoule doucement et je profite de ces beaux jours. On apprend que le grand-père de mon petit ami a fait un AVC un jour au matin. Maman est triste pour lui, moi aussi. Il y a quelques jours, ils avaient parlé ensemble toute une soirée lors de l'anniversaire de mon copain. Maman me dit que parfois les choses vont très vite. Je lui répond qu'elle ne doit pas s'inquiéter, pour elle tout ira bien. Le médecin a prévu l'opération pour lui ôter les tumeurs bientôt. Pour moi c'est une délivrance, maman n'aura plus ça en elle. A la fin de ma phrase, elle fond en larmes. Ça fait des mois que je n'ai plus vu maman pleurer comme ça. Pourquoi ? Je ne comprends pas pourquoi pleure t'elle ? Mon ventre se serre, mon cœur se brise à la vue des larmes qui ruissellent le long de ses joues. J'aimerais lui prendre toute sa peine, toute sa douleur, toutes ses angoisses. Son corps à l'air si petit pour supporter tout ça, il fallait bien que ça déborde à un moment donné.
Je lui demande de m'expliquer pourquoi pleure t'elle, lui dit que tout ira mieux, mais maman a peur. Pas de l'opération, ni du cancer. Non. Elle a peur que la maladie lui prenne tout. Sa féminité. Elle lui a déjà pris tellement, que pour la première fois maman craque sans pouvoir se retenir. Je la prends dans mes bras en tentant de lui ôter chaque parcelle de tristesse qui se trouve en elle. Je ressens la peur, elle passe en moi, je ressens la tristesse, elle percute directement mon cœur. Mais ce câlin est vain. Maman pleure encore et encore. Je crois qu'elle devait se libérer ce matin. Et j'étais là. Comme elle l'avait toujours été pour moi, je la rassurais comme je le pouvais. C'était la moindre des choses que je pouvais faire pour elle. Je me sens triste de voir maman comme ça, je pensais qu'elle allait mieux. Parfois il faut voir plus loin que les apparences. Elle retient cette peine depuis probablement des semaines. Elle avait peur de nous montrer qu'elle pouvait craquer. Aujourd'hui maman a craqué, parce qu'elle est humaine, parce qu'elle est vivante. Demain, elle aura le cœur plus léger et tout ira mieux.
Aujourd'hui, je comprends ce que maman pouvait ressentir ce jour-là. A l'époque, j'étais perdue, avec du recul, tout me paraît limpide.
Les jours passent et mon anniversaire approche. Le 31 juillet 2013, j'ai 19 ans. Maman est la première à me le souhaiter. Elle vient me réveiller et me dit « Joyeux anniversaire ma chérie ». Sa voix si douce me donne l'impression d'être la personne la plus aimée de cette Terre. Je reçois un sms de mon copain, un appel de mes grand-mères, marraine, parrain... Je me sens aimée dans ma famille, et c'est le plus important. Papa aussi me téléphone, mais je suis sur qu'il avait oublié en se levant ce matin, papa ne se rappelle même pas du sien. Les dates et lui ne font pas bon ménage.
Je passe la journée avec mon copain, nous allons voir ma jument et je monte. Quoi de mieux que de pratiquer sa passion et voir son amoureux pour son anniversaire? Ensuite je rentre à la maison. Cette journée était parfaite, mais je sais que je n'en ai pas assez profité...

Quelques semaines plus tard, nous fêtons mon anniversaire à la maison. Toute la famille est invitée chez nous. On installe quelques tables qu'on met à la suite les unes des autres, on y pose des nappes. On achète des sandwichs qu'on garnit, des tartes pour après, on fait passer le café... Tout est parfait. Toute ma famille est présente, y compris mon petit voisin avec qui j'ai passé tant de temps lorsque j'étais enfant. Maman est fatiguée, mais elle tient. Elle est toujours sous herceptin toutes les trois semaines, ce qui la fatigue, mais toujours moins que ses anciens traitements. A la fin de la soirée, elle est exténuée, mais heureuse, je le sais.

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