Métastases

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Le mois d'août s'écoule doucement et nous arrivons en septembre. Pour la première fois, je vais partir quatre jours avec mon petit ami dans les Ardennes. Après ma réussite scolaire et ces mois difficiles, je pense que ça pourrait me faire du bien de me couper un peu de la maladie pendant quelques jours. Le matin du départ, maman ne réussit plus à se lever, elle vomit, à des vertiges... On ne comprend pas ce qu'elle a. On pense peut-être à un soucis d'oreille interne, elle en avait déjà eu il y a quelques années. Je ne suis pas tranquille, j'ai peur pour elle. Je me sens tellement impuissante...

Maman, pardonne moi de n'avoir pas toujours réussi à te rassurer, à te protéger... J'aurais tant aimé pouvoir faire plus encore.

Papa me conduit malgré tout, nous prenons la route pour les Ardennes belge, maman reste à la maison. Elle n'est pas en état de faire le trajet. Elle me manque déjà, et en même temps, j'ai envie de fuir parfois. Fuir la maladie, la peur, l'angoisse, la tristesse, et par conséquent fuir ma maman.

Quand j'y repense, la culpabilité me détruit petit à petit, mais c'est un sentiment humain de vouloir prendre la fuite face à l'adversité de la vie. Face aux obstacles à franchir, sauter est parfois difficile, certains préfèrent reculer, ou prendre un autre chemin. A cette époque j'aurais voulu partir loin, sans donner de nouvelles, peut-être même que j'aurais voulu t'oublier, tellement je souffrais. Je n'avais pas encore conscience de la douleur de l'après toi. Du rien, du vide qui reste et nous tient la main à l'infini.

Nous arrivons à l'hôtel avec mon copain et posons nos bagages. C'est parti pour quatre jours de détente. J'essaie de ne pas penser à maman, et de visiter, d'aimer, de rire, de manger, de vivre une vie normale, sans chimiothérapie et hôpital. Nous visitons des musées sur les deux guerres mondiales, nous promenons dans la ville le long d'un merveilleux ruisseaux, mangeons à l'hôtel le soir pour ensuite repartir se balader la nuit dans cette ville endormie. C'est calme, c'est paisible, ça me permet de ne pas penser à la maladie. Même si maman occupe toutes mes pensées. Le soir je téléphone à papa. Le lendemain de notre arrivée, dans l'après-midi, papa me dit que maman est à l'hôpital mais que tout va bien. Il n'y a que des parents pour réussir à préserver les enfants comme ils l'ont fait ces jours-là. J'étais rassurée, maman allait mieux et était entre de bonnes mains, c'était probablement des cristaux dans l'oreille interne. Je pouvais profiter de mes derniers jours de vacances.
C'est une preuve d'amour incommensurable de protéger ses enfants et de prendre toute l'angoisse pour soi. Aujourd'hui, je sais qu'ils m'ont toujours protégée, jusqu'au bout. C'est peut-être pour ça que la chute fut si brutale.

Nous profitons des deux jours qu'il nous reste. Nous jouons au tennis, et il faut dire que je suis loin d'être douée, mon copain passe son temps à courir après les balles, mais on rit beaucoup, et ça fait du bien. Nous allons nous promener dans un parc animalier, où l'on peut apercevoir des loups, des oiseaux, des renards, des sangliers... J'adore les animaux, ça m'apaise de passer mon temps à les observer.
Le soir, j'ai maman au téléphone, elle à l'air en pleine forme ! Ça me rassure, j'entends à sa voix qu'elle se bat, comme toujours.

Le dernier jour, mon beau-père vient nous chercher dans l'après-midi pour rentrer chez nous. J'ai peur, j'aurais aimé fuir encore un peu l'hôpital et me contenter de maman au téléphone qui semble aller bien, mais la réalité refait toujours surface. Il faut être fort et faire face.

Nous sommes arrivés et mon beau-père me dépose à l'hôpital. Dans cette aile, les heures de visites sont secondaires. Nous pouvons venir voir maman à peu près à l'heure que nous désirons. C'est un retour brutal à la réalité. J'avance seule, dans ce long couloir qui n'en finit pas. Je le connais par cœur, l'odeur, le bruissement sous mes pas, le virage, l'ascenseur...
A cet instant, je ne savais pas encore que c'est ce jour que notre vie et surtout celle de maman allait basculer. Il ne s'agirait plus de rétablissement, mais de combat encore plus douloureux et difficile.

J'entre dans la chambre, maman est assise dans le lit, papa est posé sur la chaise face à moi. Ils sourient. Ils sont heureux de me voir. Maman m'embrasse, me demande comment se sont passés ces quatre jours. J'étais impatiente de tout leur raconter! Je m'empresse d'entrer dans les détails, de les faire un peu rêver malgré que je ne suis pas partie loin. Ils sont très heureux pour moi. Je demande à maman comment se sent-elle ? Si les médecins savent pourquoi elle avait des vertiges. Papa me parle calmement. Il m'explique que maman a passé un scanner car ça semble être tous les symptômes de métastases au cerveau. Mon cœur s'éteint à l'instant où papa prononce ces mots. Mon estomac se tord, mes poumons s'agitent, je ne respire plus. Je tremble, les larmes montent, mais je les retiens. Je pense que papa et maman ne voient rien, tout se passe à l'intérieur, mais je fais front pour ne pas les inquiéter. En une seconde, mes pires craintes, mes angoisses les plus importantes se sont révélées comme faisant désormais partie de ma vie. Elles m'accompagneront désormais partout. Vivre avec ce poids est presqu'impossible pour moi, je n'ose imaginer ce qu'il doit en être pour maman...

Elle me regarde, et me fait son plus beau sourire. Elle me répète que « ca va aller » et que pour l'instant on n'est sûr de rien. Je m'efforce de penser que peut-être, ce n'est qu'un cauchemar et que pour une fois la vie sera de notre côté. J'espère que maman n'a rien d'autre qu'un syndrome de Ménière, mais ce qu'ils lui ont donné est censé diminuer un hématome intracrânien qui se serait formé à cause de métastases... Et grâce à cela maman va mieux. Je prie tous les dieux possible pour que tout ça ne soit qu'une coïncidence.
Ce soir là, je dors chez ma tante, la sœur de mon papa. Nous parlons toute la soirée, et ça me fait du bien. Ma famille me fait toujours du bien dans ces moments. J'avais besoin d'eux ce soir. Il est tard, et nous allons nous coucher. Lorsque je me faufile dans mon lit, je pleure comme une gamine de cinq ans qui aurait perdu son doudou. J'espère qu'ils ne m'entendent pas, je ne veux inquiéter personne. Les larmes ruissellent le long de mes joues sans que je ne puisse les contrôler. Maman a des métastases au cerveau. Maman va se battre, mais dans ma tête je sais que maman va bientôt mourir...

SurvieWhere stories live. Discover now