9 : DYLAN + BALANÇOIRE = ESPOIR

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S'il y a une raison susceptible de me faire cesser les soirées, c'est la corvée de devoirs du dimanche soir. Quand, après un vendredi arrosé, un samedi complet à récupérer et un dimanche à glandouiller, vous vous installiez à votre bureau à 18 heures et tentait de comprendre les ramifications du mythe de la caverne de Platon, votre existence entière était remise en question. L'année dernière, la solution à ce problème était simple : je ne travaillais pas. Ni le vendredi soir avant de partir, ni le lundi matin quand je rentrais gratter quelques heures de sommeil avant les cours. Je faisais la fête tout le week-end, je comatais le dimanche sur le canapé de mes potes. On jouait aux jeux vidéos en terminant les bières et les bouteilles.

Cette seconde terminale était différente : ma mère m'avait posé un ultimatum, et la perspective de rejoindre Théa à l'université me motivait à bosser. Alors, malgré mon état léthargique et l'envie insurmontable de regarder Maison à vendre avec Teresa et maman – on adorait se moquer des décorations d'intérieur des gens –, je me suis affairée à la montagne de devoirs qui m'attendait. Il y avait ceux en retard, ceux urgents, et ceux qui demandaient plusieurs semaines de taf et que je m'étais promis de ne pas faire à la dernière minute.

L'aiguille a tourné, ma mère a frappé à la porte de ma chambre.

─ Tu viens manger ?

J'ai marmonné un « oui », concentrée sur mon cahier. Voyant que je ne bougeais pas, ma mère est restée plantée dans l'encadrement de ma porte. On ne s'était pas parlé de la journée, je m'étais levée à 14 heures, bien après le déjeuner, et je n'avais pas quitté ma chambre. Elle m'a dit :

─ Sois pas fâchée contre moi.

─ Je suis pas fâchée contre toi, lui ai-je assuré.

─ Je ne veux pas que tu fasses des bêtises.

Sa phrase, et l'inquiétude de son ton, ont résonné en moi comme un gong. D'un coup, c'était comme si j'avais pu me mettre à sa place. D'accord, je la comprenais, moi aussi, j'aurais peut-être privé ma fille de sortie dans cette situation. J'ai enfin levé les yeux sur elle, avec un hochement de tête.

─ Je sais.

Un sourire triste est passé sur son visage, elle a répété :

─ Tu viens manger ?

─ J'arrive, je finis mon exo.

Ma mère a refermé la porte. Quand j'ai lâché mon stylo pour m'étirer, j'ai eu la sensation d'émerger d'un brouillard dense. Je n'avais pas vu la nuit tomber, les dernières heures s'étaient écoulées dans un entre-deux temporel sans consistance. C'était un sentiment bien particulier au dimanche après-midi : cette langueur paradoxalement frénétique. On avait le temps de faire mille choses, mais on ne faisait jamais rien.

La table était mise, Teresa pianotait sur son téléphone, un sourire béat aux lèvres. Quand maman a posé la casserole de petits pois sur la table, elle lui a reproché :

─ Teresa, pas de téléphone à table.

Elle n'écoutait même pas, obnubilée par l'écran, l'air de plus en plus bête. Comme j'étais une grande sœur chiante, je lui ai arraché des mains sans gêne.

─ Eh !

─ T'entends la morveuse ? Pas de téléphone. Puis, c'est à qui que tu parles pour avoir l'air d'une dinde, comme ça ?

─ Ouh, a chuchoté ma mère en nous servant. Un garçon ?

Teresa est devenue rouge pivoine, et s'est penchée par-dessus la table pour reprendre son téléphone.

Dylan Mercier doit payerWhere stories live. Discover now