Chapitre 3

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La vue depuis l'esplanade jouxtant la Basilique de Fourvière semble les ravir. La nuit est tombée et l'expression désignant Lyon comme ville des Lumières prend tout son sens. Nombreux sont les monuments éclairés de différentes couleurs, donnant un spectacle visuel splendide. Cette esplanade fait partie de mes endroits favoris de Lyon. J'avais l'habitude d'y aller régulièrement lors des couchers de soleil vers la fin du Printemps, pendant les soirées chaudes sans être étouffantes. Je me glissais dans une petite ouverture cachée dans la descente par les jardins. Ils ont fini par comprendre où cette dernière se trouvait et l'ont condamnée. Mais pendant des années, j'ai pu admirer la ville depuis un champ de cerisiers en fleurs et en fruits et j'ai élu cet espace comme celui qui réussissait à m'apaiser le plus rapidement et le plus efficacement. C'est d'ailleurs pour ça que j'y passais le plus clair de mon temps. Peu de personnes connaissaient ce petit coin secret, et j'étais assuré d'y être toujours tranquille. Je n'ai pas retrouvé de tel endroit depuis.

Après une visite détaillée de la Basilique, deux jardins traversés pour descendre de la colline, une quinzaine de questions posées par le groupe, une centaine de photos prises pour le souvenir, mais qui ne seront jamais regardées, et une infinité de pas, nous rejoignons enfin à nouveau le cœur de la vieille ville. Du monde fourmille désormais autour des restaurants et je laisse un temps les membres de ma congrégation flâner seuls dans la rue remplie de boutiques en tous genres. C'est l'occasion pour moi de me poser dans un petit café dans lequel ils ont consigne de me rejoindre au bout d'environ une heure.

Alors que je savoure l'idée d'aller m'asseoir seul et profiter d'un peu de calme, je sens la présence de quelqu'un derrière moi, un peu trop proche pour qu'il s'agisse simplement d'une autre personne s'installant sur la table d'à côté. En me retournant, je découvre un Min-jun tout sourire prêt à s'asseoir avec moi. Et la seule réaction qui me vient consiste à soupirer.

Heureusement, je me retiens de justesse.

— Oh, vous ne flânez pas dans les boutiques de la rue ? Il y a pléthore de petites choses sympathiques à ramener en Corée comme cadeaux de Noël ! C'est le moment idéal, surtout si vous souhaitez quelque chose de typiquement lyonnais.

Et surtout parce que vous m'avez déjà gonflé toute la journée et que je ne tiens pas à passer plus de temps avec vous. Mais bon, ça évidemment je ne lui dis pas. En réalité, je ne prononce jamais de phrases aussi longues que dans le cadre de mon métier. En temps normal, je suis plutôt du genre à aller à l'essentiel. Comme si chaque syllabe formulée avait un coût, ou comme si j'étais poursuivi par un tueur en série armé d'une tronçonneuse et que je devais faire au plus vite. Je n'ai jamais vraiment compris ce côté avare de mots que je possède alors que j'aime tellement partager mes connaissances sur ma ville. Mais c'est peut-être là le nœud du problème : parler de ma ville n'a rien à voir avec le fait de parler de ma vie. Il y a des nuances toutes particulières.

— Je n'ai rien de spécifique à ramener. Je privilégie les moments aux objets. Alors je me suis dit que ça serait plus sympathique de partager un café avec vous plutôt que perdre du temps dans des boutiques qui ne m'intéressent pas.

Eh bien, c'est pour le moins surprenant. Je pensais qu'il serait du genre à ramener trois valises de souvenirs à son retour. Comme quoi...

Nous passons commande auprès de la serveuse qui vient nous voir, et pour la première fois, il reste silencieux. Je l'observe alors qu'il se perd dans la contemplation de la rue au travers de la vitrine légèrement embuée. Sa tête est posée contre sa main qui possède un tout petit auriculaire comparé à ses autres doigts. Sa mâchoire carrée dénote des traits doux de son visage. Il fait mature tout en ayant une allure très enfantine. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'il me pompe l'air, car c'est quelqu'un qui semble prendre beaucoup d'énergie à ceux qui l'entourent. Ou à moi en tout cas, déjà que je n'en ai pas beaucoup à revendre. Mais pour autant, il paraît profondément gentil. Ses yeux étirés et légèrement rebondis trahissent le calme qui l'envahit, ses paupières s'affaissant légèrement sous le poids de la détente. Il ne semble pas dérangé par la mèche dorée qui retombe sur ses cils. Le reste de ses cheveux tient un peu en arrière, dans un désordre causé par son bonnet. Sur sa peau claire, ses joues rosies par le froid puis instantanément réchauffées par la chaleur du café lui donnent un visage émoussé. Perdu dans ses pensées, il se tripote l'oreille, rouge elle aussi, d'où pendent deux boucles argentées.

Lyon sous la NeigeWhere stories live. Discover now