A la laverie automatique

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C'était une scène de vie, je me souviens,
Un instant promis, une main délicieuse.
Toi et moi, dans une laverie mielleuse.
Tu souriais éperdument, ça me reviens,
Interrogeant cette couette cyclonique
D'un œil amusé par un drôle de spectacle
Qui évoquait l'infini à ton esprit et son réceptacle.
Tu me tenais le bras, c'était comme hypnotique.
Je te cherissais tant avec ton air de malice.
Mon amour, Héphaïstos le forgeait constamment,
Et toi tu étais l'atelier où il créait ardemment.
De mes doigts j'effleurai ta peau lisse,
Dans ta nuque tu remontas ton châle,
Voilant les frissons qui te parcouraient.
Gênée par ces petites sensation que tu découvrais,
Tu bondis de ta chaise bancale,
Et alors que tu regardais loin à travers le plafond,
Tu te mis à tourner, à tourner, à tourner et à tourner encore.
Tu riais, sans autre mot, faisant fi du décor.
Bras écartés, tu fendais l'air d'un puissant siphon.
Le public choqué s'écartait, la danseuse effrénée l'ignorais.
Imitant la couette tempêtueuse dans son moteur,
Tu tournais, tournais, tournais et retournais mon cœur.
Les anges te couvraient de lauriers des plus dorés,
Jusqu'à ce que ton corps mince s'effondre sur son siège.
Tu souriais toujours plus, oubliant tous ces gens autour
Téléphonant sûrement déjà aux policiers alentours
Pour leur relater ton furieux manège.
Mais subitement tu me tiras vers la sortie,
Délaissant nos chaussettes et pantalons dans leur cage hydrolique.
Nous voici alors courant sur les pavés sans logique,
Guidés par nos esprits libres et assortis.
Moi aussi je me mis à rire, le monde était si insensé !
Nous étions arrivés dans un parc boisé.
Je voulais t'offrir toutes les fleurs que nous venions de croiser,
Mais tu rétorquais que nous manquerions de vases faïencés.
Et nous posant dans l'herbe, sous un arbre intimiste,
Nous refaisions déjà le monde, quand nous vivrons une autre vie.
Nous nous imaginions alors ailleurs, à Rome ou Varsovie,
Je me voyais laver les escaliers d'un immeuble, pas très optimiste,
Quand toi tu t'idéalisais derrière les caméras,
Carriériste dans le cinéma ou bien championne olympique,
Nageant dans des criques atypiques,
Toujours épanouie et heureuse de me serrer dans tes bras.
Alors tu me redonnais foi en mon sort
Et me surpris à nous rêver, pleurant de joie dans une maison,
D'avoir construit ensemble une étagère pour le séjour.
Nous étions de jeunes aviateurs guidant notre amour
Vers des cieux fougueux et emplis de déraison.
A présent, le monde nous était destiné, ancrés l'un à l'autre.
Nous pouvions nous targuer d'avoir vécu tout deux,
Milles et une vies de contes rêvés et précieux,
Faisant de toutes les passions la nôtre.
Les heures semblaient courtes à tes côtés
Alors une idée me vint : pourquoi ne pas aller patiner sur un étang
En cette belle journée ensoleillée de printemps ?
De suite tu acquiesças mais prise d'une folle responsabilité,
Tu préféras retourner à la laverie pour saluer la fin du cycle
De la couette typhon qui avait tant inspiré ta journée.
Marchant de rue en rue, tu riais encore en te revoyant telle les machines tourner.
Tu l'affirmais, ils s'amusent grandement les tourne-disques et monocycles
A tourbillonner dans leur usage sans relâche pour nous satisfaire.
《 Nous trimons rarement avec autant de joie qu'eux. 》
Cette philosophie résonne toujours à mes oreilles avec tous ses enjeux.
Une parole et tu ordonnais à mes évidences de se défaire,
Un mot et toutes les lois de ce monde s'effondraient.
Nous arrivâmes devant ce musée à hublots de toute tailles,
Pressés de découvrir les affaires inavouées qui y patientaient
En attendant que leur propriétaire revienne les éventer.
Nous fûmes extrêmement surpris de découvrir en détail
La couette ouragan que nous venions admirer, étendue sur un cordage.
Elle séchait paisiblement, laissant couler tout le poids de son fardeau
Qui l'alourdissait de tant de litres d'eau.
Face à son raffinement, suite à quelques compliments d'usage,
Tu décidas de la renommer pour t'en souvenir.
Dorénavant nous nous rapellerions d'elle sous le nom évocateur
De la couette tornade sinueuse, couvre-lit démystificateur.
Tu voulais la remercier ainsi d'avoir changé la vision de ton avenir.
Avant de partir, nous pensâmes tout de même à nos vêtements
Devant s'ennuyer tristement dans leur prison à l'arrêt.
A l'aide de la clef requise pour les libérer,
Nous les relâchâmes de leurs humides tourments.
Leur douce odeur emplissait nos narines
Tandis que nous leur offrions une dernière danse
Dans un sèche-linge bien trop immense.
Nous regardions la fusion de vert pâle, de rouge et de bleu marine
S'agiter pour les quinze prochaines notes de temps.
Nous retrouvions le guinguois de nos sièges
Où nos mains se reposaient l'une et l'autre dans leur piège
Formé de dix doigts noués et palpitants.
C'est alors que l'on remarqua cette femme nous faisant face,
Portant le poids des millénaires avec la légèreté d'un rayon de soleil,
Affichant un sourire désespéré en parcourant les pages d'un bouquin vermeil,
Comme si le finir signifiait choisir entre l'épitaphe ou la préface
Qui resumeront son existence parmi les hommes.
Elle sembla improbable, inattendue, inconcevable, divine,
Quand sa tête se releva lentement sur nos perplexes mines,
Jugeant de nos enveloppes mortelles pour mieux estimer la perpétuité de nos dogmes.
Alors ses lèvres s'entrouvrirent d'une approbation modératrice
Et la mystérieuse s'évanouit dans l'éther au soupir suivant.
Déroutés, la mélodie du sauna à textile retentit brièvement
Et nous ramena à la réalité de la laverie bienfaitrice.
Tu plongeais tes yeux au plus profond de mes pensées,
D'un amour languissant et passionné tu saisissais mon cœur.
Tes lèvres vinrent sublimer l'instant, se colant furtivement à ma candeur.
Le temps était passé, notre linge venait nous presser.
Tu le regrettes encore il me semble, il nous fallait partir,
Retrouver nos quartiers passionnés, notre refuge intime, nos régions de tendresse.
Le pas lent, tu repensais à cette femme étrange apparue telle une prêtresse
Venue bénir notre union entre les écueils de son martyre.
Nous n'avons entedu ses mots jadis inaudibles que bien plus tard,
Simples et obscurs : "l'Amour vit tant que nous le tissons".
Des paroles qui provoquaient un étrange frisson
Alors que l'épouse d'Ulysse l'avait prouvé par son cœur endurant à bien d'égards.
Et depuis ce jour promis, cette idylle délicieuse,
Des souvenirs de couettes tourbillon gravés plein nos têtes,
Je t'ai solennellement juré ma douce belette,
De nous conduire souvent en de nouvelles laveries mielleuses.

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Ce défi consistait à allier la poésie à la cartographie (et oui c'est possible !). Cela grâce au site what3words.com qui a attribué à chaque carré de 3m par 3m du globe une coordonnée unique composée de trois mots qui se suivent. En choisissant un ou plusieurs de ces carrés correspondant à un lieu tenant à cœur ou simplement sa propre position actuelle, le but était d'insérer les trois mots dans un texte, dans l'ordre.

Jeu de motsWhere stories live. Discover now