Chapitre 17 - Le Prisonnier

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François tentait de voir qui se tenait la porte. Avec le contre-jour se dessinait une ombre improbable qui ne lui rappelait personne. Il s'imaginait un bourreau avec un masque de chair humaine qui fondrait sur lui et le découperait en pièces. Il en tremblait déjà. L'ombre ne bougeait pas et semblait le scruter en réfléchissant. François hurla dans son bâillon et ses paroles furent totalement incompréhensibles. Il voulut dire :

- Qu'est-ce que vous voulez ? Pourquoi je suis attaché ? Vous avez pas le droit de faire ça !

Mais ne sortirent de sa bouche que des grommellements étouffés sans aucun sens. L'inquisiteur tourna les talons et ressortit. Comme gêné, ou en proie à la réflexion. La porte se claqua lourdement, faisant tomber une tonne de poussière des charpentes.

Sa petite voix s'égosillait dans sa tête et lui soufflait mille explications probables et mille attitudes à adopter en fonction. Elle lui parlait en variant les approches comme dans Cyrano de Bergerac :

Raisonnable :

- C'est juste le temps qu'ils lisent tes deux manuscrits. Ça va prendre un peu de temps mais après ils vont te libérer. C'est juste une mauvaise blague.

Dramatique :

- C'est la fin ! Je vais mourir ici ! C'est sûr ! Ils vont me laisser crever et personne ne retrouverait mon corps !

Boy-Scout :

- Si t'arrives à attraper le morceau de tuyau qui est là...tu pourrais peut-être dénouer tes chaînes et si tu casses ce bout de verre qui est là tu peux découper ton baillon et mieux respirer. Et il faudrait voir si le carreau qui est au fond donne sur un couloir ou une sortie...

Romantique :

- Je comprends mieux "La Prisonnière" dans Proust. Le narrateur gardait enfermée la fille qu'il aimait pour la posséder complètement, dévoré par une jalousie maladive, pour qu'elle n'aille pas voir un autre homme et ne lui échappe plus.

Combattant :

- Dès que tu peux tu lui mets une droite dans sa face à cet Emile Facet et l'autre tu l'assomes !
Et tu te barres en courant de ce trou à rats ! Et tu prends le premier avion pour le bout du monde !

Son esprit, obnubilé par ses pensées diverses et variées, lui permettait de tenir bon, de  s'empêchait de sombrer, de ne oas perdre courage.

Il essayait de se rappeler les horreurs qu'il avait vues sur les murs. Il y avait des têtes de mort, des mains ensanglantées, des chiffres, et une sorte de plan incompréhensible. Cela ne l'aidait pas et au contraire ne faisait que l'enfoncer encore plus dans la confusion et la terreur.

Un bruit se fit entendre. Puis des pas se rapprochaient, pesants, lourds, massifs, impressionnants, terrifiants.

François tremblait de partout. Il pensait que c'était son bourreau ! Son meurtrier ! Son tueur en série !

Émile poussa la lourde porte dans un grincement de cauchemar. Il dévisagea son otage avec mépris et lui jeta au visage ses deux manuscrits !  

- Tu me déçois petit ! Je comptais tellement sur toi ! Tu n'es pas à la hauteur de mes attentes. Je n'aurais pas dû me fier à mon instinct !
GéGé !
Enlèves lui le bâillon ! Dorénavant tu seras mon invité d'honneur dans cette ancienne cave à vin ! Tu vas me refaire au moins un des deux romans et cette fois tu t'appliques !  Je te garderai autant de temps qu'il faudra. Tant que c'est pas bon tu dors ici ! Tu es ma marionette ! Mon nègre ! Mon écrivain de l'ombre ! Mon porte plume ! Mon esclave ! Si tu travailles bien, tu reverras peut-être le jour !

GéGé enleva le bâillon immonde qui recouvrait la bouche de François. Celui-ci toussa beaucoup et chercha son air par de grandes respirations profondes. Il demanda avec une petite voix effacée :

- Lequel je dois refaire ?

- Tu refais celui que tu veux ! Fit sèchement Émile.
Tiens une rame de feuilles !
Un stylo ! Une lampe de bureau. Et t'as une bouteille d'eau en prime ! Voilà !
Ne me remercie pas. C'est gratuit !
Allez au bouleau !
GéGé t'amènera un truc à manger plus tard.

Le jeune prisonnier ne se remettait pas de ce traitement. Il aurait bien volontiers accepté de les refaire ses manuscrits. C'était pas la peine de le traiter comme ça ! Emile avait-il peur qu'il s'en aille et ne revienne jamais ? Il devait vraiment penser qu'il avait du talent pour le garder comme ça. Bien sûr ce n'était pas des manières. La séquestration forcée était des plus inhumaines ! François ne voyait qu'une seule solution pour fuir de cet enfer : écrire ! Réécrire ! Faire mieux  ! C'était le défi qu'il lui fallait ! Le challenge qui le ferait vivre intensément et lui ferait oublier jusqu'à son emprisonnement, lui qui était déjà son propre prisonnier intérieur.

Il se releva les manches et se mit au travail forcé ! Avec presque un sourire aux lèvres...

Montez !Where stories live. Discover now