Chapitre 18 : Les Griffes du Déchu

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La lame se planta, avec un crissement effroyable, dans un rempart de cristal. Le souffle coupé, Hell fixa ces épais blocs translucides, jaillit du sol. Au travers desquels elle pouvait voir Barbatos. Le Séraphin était le visage même du soulagement. Un sentiment qui ne perdura pas. Et que ne partagea en aucun instant la métamorphe, étouffée par la présence de Lucifer.

-Qu'as-tu fait ? Gronda le Déchu. Je reconnais bien là ta patte ! Tu savais ce qui allait se passer, n'est-ce pas !?

Hell, en revanche, ne comprenait rien. Les griffes du Déchu menaçaient toujours un peu plus de s'enfoncer dans sa nuque. Or, de simples estafilades avaient plongé Svenn dans le coma. Elle n'avait aucune envie de se retrouver dans le même état. Pourtant, ce n'était pas ce qui la perturbait le plus, en cet instant.

Non, c'était de voir la lueur de défi dans les yeux de Barbatos.

-Que Bathin ou toi ait été l'auteur de mon tatouage, j'étais parti du principe que vous me demanderiez de la tuer en premier.

Hein ? Il savait ? Il savait ce qui allait lui arriver ? Que tout cela allait se dérouler ? Mais... Comment ?... Pourquoi ne lui avoir rien !?

-Oh... Et pourquoi prendre une telle peine, angelot ? Dis-moi quels sont tes sentiments pour cette demoiselle. Réponds sans mentir, c'est un ordre.

Il ouvrit la bouche, en rencontra le regard de Hell. Le referma, dans une vaine tentative de vaincre la puissance du sortilège. Presque aussitôt, il entrouvrit les lèvres, forcé de répondre. De se confesser.

-Je l'aime.

Le cœur de la métamorphe manqua un battement. Ou plusieurs. Elle ne savait pas. Car les mots trouvèrent un écho en elle, la réchauffant et la faisant inexplicablement souffrir, à un moment pareil. Dans les iris azuréennes du Séraphin, elle lut une excuse insoutenable. Une demande de pardon incompréhensible.

-C'est la raison pour laquelle je l'ai protégé des attaques de ma part. Quand elle dormait, je lui ai jeté un sortilège de protection. Rien, venant de moi, ne pourra jamais lui faire de mal.

Non... Non... Il ne pouvait pas avoir pensé à ça ! Il ne pouvait pas avoir prévu de la sauver, elle, tout en sachant qu'il allait finir... Asservit... La gorge nouée, elle se souvint de sa sollicitude, du nombre de fois où il lui était venu en aide, ces derniers jours. Où il l'avait soutenu, face à la soif de pouvoir des membres de son Clan. En réalisant tout cela, elle sentit des larmes perler au coin de ses paupières. En sachant sa fin, il avait uniquement pensé à elle...

Le ricanement appréciateur de Lucifer la tira brutalement de ses considérations sentimentales.

-Bien bien... Dans ce cas, ôte toutes les protections de ta douce. Ensuite, exécutes-la. Et alors... Tu auras le champ libre pour torturer et tuer les habitants d'Exil.

Après quelques secondes de lutte, Barbatos se mit à prononcer une série de paroles d'un timbre rageur, incompréhensibles aux oreilles de Hell. Ses doigts s'agitèrent dans l'air, ses poings s'ouvrirent et se fermèrent, dans une lutte silencieuse. Il ferma les yeux, serra les mâchoires à s'en briser les dents. Pourtant, elle sentit cette légère magie la quitter. Elle n'avait pas eu conscience de l'avoir avec elle, jusqu'à présent. Quand l'avait-il protégé ? Depuis combien de temps savait-il ?

En le voyant lever une nouvelle fois son épée, alors que les blocs de cristaux se rétractaient dans le sol, elle sentit une boule se former dans sa gorge. Rien, ni personne, ne pouvait les sauver à présent.

Elle allait mourir de ses mains. Et c'était certain : qu'il le veuille ou non, il allait raser de la carte tout ce qu'il avait aidé à construire depuis des siècles. C'était le pire châtiment que Lucifer pouvait imaginer pour un homme de la trempe de Barbatos.

Les paroles prirent fin. Elle fixa une dernière fois le Séraphin dans les yeux, ses prunelles torturées. Silencieusement, elle articula quelques mots. Le bras armé se suspendit dans l'air, il écarquilla les yeux, le sortilège semblant refluer un court instant. Le remord, voir même la panique, afflua dans le regard de Barbatos.

Elle ne pouvait le sauver. Lucifer l'empêchait de se transformer, et elle n'était pas de taille ainsi, nue et sans armes. Elle ne pouvait l'aider dans cet instant, le seul, peut-être, où il aurait eu besoin d'être sauvé. Des larmes roulèrent le long de ses joues. Le bras recommencé à bouger, en dépit de la volonté de l'ange.

Puis elle ferma les paupières. C'était la...

-NON !

Elle ouvrit brusquement les paupières. Nergal venait de sauter sur le dos de Barbatos, l'attrapant à bras le corps. La seconde suivante, la prise de Lucifer disparaissait sur la nuque de Hell, suivit d'un bruissement d'ailes. Stupéfaite, elle pivota. Le Déchu fuyait vers les cieux orageux, tandis le Séraphin repoussait le démon sans ménagement, pour lever de nouveau son épée contre elle. Pour obéir de nouveau aux ordres de Lucifer. Elle n'eut pas le temps de prendre sa forme de flammes. Pas plus qu'elle n'eut le temps de s'enfuir.

La lame pénétra de la courbe de sa gorge jusqu'au milieu de son torse, dans une gerbe de sang écarlate.

Avec un rugissement, Alastor retira sa hache du corps de Barbatos. Ce dernier tomba à genoux, tel un automate désarticulé. Puis, dans un instant qui lui parut durer une éternité, il croisa le regard de Hell.

L'expression de soulagement qu'elle y lut resta à jamais gravée dans sa mémoire.

Tout comme un hurlement. Le sien. Elle se précipita vers lui, le retint alors qu'il s'écroulait sur le sol. Son sang inonda ses mains, sa vie s'échappa entre ses doigts. Et pourtant, il lui souriait doucement.

-Barbatos... Non, non, Barbatos, je t'en prie, je t'en supplie... Nergal... Al... Je vous en supplie, faites quelque chose !

Mais les deux guerriers restèrent silencieux. Ils ne parvenaient pas à la regarder. A regarder le Séraphin. Quand elle baissa de nouveau les yeux sur lui, seule la mort lui fit face. Il était parti... Parti...

Le sang chaud coulait encore, sa main restait agrippée à la sienne. Elle hurla. Elle cria sa rage. Elle insulta les cieux pour sa couardise. Elle insulta Alastor pour sa traitrise. Elle insulta Nergal pour l'empêcher de le tuer.

Et elle s'effondra dans les bras de sa sœur, tandis que l'on emportait le corps.

Tandis que Barbatos disparaissait définitivement de ce monde.



3. L'Ange de la FornicationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant