Chapitre I ~ Le drôle de petit gars

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Cela faisait plusieurs heures que les deux amants chevauchaient dans la forêt, cherchant à s'éloigner le plus possible du château, et Caroline sentait que Valour commençait à fatiguer. Elle-même souffrait du manque de sommeil, mais ne voulait pas l'avouer à Kristoffer : elle savait pertinemment que, lorsque sa servante pénètrerait dans sa chambre et y découvrirait un lit défait, que dans les écuries on remarquerait l'absence de leurs chevaux respectifs, on donnerait l'alerte, et des cavaliers partiraient à leur poursuite. Il leur fallait prendre le plus d'avance possible. Elle s'accrocha donc à la crinière de Valour et pressa son flanc de son talon pour qu'il accélère.

La forêt de Landela, qui bordait le royaume de Lannilis, était immense, et impossible à traverser en une nuit de route, même avec des chevaux aussi rapides et puissants qu'Obéron et Valour : aussi, lorsqu'ils débouchèrent sur une petite clairière traversée par un ruisseau qui coulait paisiblement, Kristoffer décida qu'ils pouvaient s'arrêter. Ils attachèrent les chevaux à un arbre, les laissant se reposer et brouter l'herbe fraîche, et Kristoffer alluma un feu, sous les caresses de Caroline. Ils grignotèrent les petits biscuits secs que le jeune homme avait dans son sac, se rafraîchirent en plongeant leurs lèvres dans le ruisseau, et s'allongèrent au coin du feu, dans les bras l'un de l'autre, où ils s'endormirent.

Caroline fut la première à se réveiller : en ouvrant les yeux, elle découvrit, à quelques centimètres de son nez, le visage blanchâtre d'un jeune garçon. Il avait des yeux jaune sale, un petit nez retroussé, et ses lèvres pâles s'étiraient en une grimace, dévoilant une dentition des plus étranges. Ses canines étaient particulièrement longues et pointues, et plus foncées que le reste de ses dents. Persuadée qu'il s'agissait d'un mirage, Caroline cligna plusieurs fois des yeux, mais la créature, au lieu de disparaître comme elle l'aurait souhaité, commença à bêtement l'imiter, faisant battre ses longs cils d'un air à la fois intrigué et amusé. Caroline hurla et se redressa brusquement, prenant appui sur ses avant-bras, et son front percuta violemment celui du petit être : la jeune fille hurla de plus belle, de douleur cette fois, imitée par le garçon qui avait bondi en arrière en se tenant le front. Tout se passa alors très vite : il y eut comme un éclair, et le petit bonhomme se trouva plaqué au sol, la gorge coincée sous le bras puissant de Kristoffer. Il se débattit, crachant et toussant, une main toujours écrasée contre son front douloureux.

— Arrêtez, siffla-t-il, le sang lui montant aux joues. M'sieur ! Arrêtez, M'sieur !

Caroline se leva difficilement, et elle se précipita sur son compagnon.

— Attends ! Il parle !

À ses mots, Kristoffer grogna et relâcha son emprise sur le petit être haletant, qui ouvrit grand la bouche et avala tout l'air qu'il pouvait, avant de le recracher en toussant, et de recommencer cette opération jusqu'à ce que sa respiration se stabilise. Caroline vint s'accroupir à côté de lui, le détaillant d'un air méfiant.

— Qu'est-ce que c'est que ce truc, siffla Kristoffer entre ses dents.

Le jeune garçon leva vers lui des yeux effrayés, et il rabattit ses bras sur son visage, comme pour se protéger.

— Me frappez pas, M'sieur ! couina-t-il. J'vous veux aucun mal, c'est juré !

— Qui es-tu? gronda Kristoffer sur un ton menaçant. Et que fais-tu ici?

— J'me promenais, M'sieur, quand j'vous ai vus, allongés par terre, pleurnicha la petite créature. J'suis juste venu voir si vous étiez morts, M'sieur, c'est tout, promesse de moi !

— Est-ce que tu es armé?

— Non, M'sieur, promis, juré, craché ! Fouillez-moi si vous m'croyez pas !

Le petit être n'était vêtu que d'une blouse en coton beaucoup trop large, et d'un petit pantalon en toile qui dévoilait des chevilles trop maigres : il était pieds nus, et ses mains minuscules trituraient nerveusement les pans de son habit trop ample. Il n'avait aucun bagage, rien. Néanmoins, Kristoffer demanda à Caroline de se retourner, et il ordonna au petit de se déshabiller, pour l'inspecter. Il ne trouva rien.

— Es-tu seul? demanda-t-il en haussant un sourcil.

— Voui, M'sieur. Euh... non. Enfin, y a Chukka.

— Chukka?

— Ma monture, M'sieur.

— Tu n'es pas humain, si?

Le petit être ouvrit la bouche, et passa sur ses canines sa petite langue rose.

— J'suis un vampyr.

Un vampyr?

— Une créature d'la mort. Oh, mais n'ayez pas peur, M'sieur ! J'suis pas dangereux, j'ne bois que l'sang des animaux.

Kristoffer leva les yeux au ciel.

— Peu importe ! Nous avons déjà perdu trop de temps avec toi. Allons-y, Caroline. À cette heure-ci, le château doit s'éveiller. Notre absence sera bientôt découverte.

Caroline lança un dernier regard à la petite créature, avant de hocher la tête et de se relever. Ils allèrent détacher leurs chevaux.

— Eh, attendez ! Vous partez déjà? s'exclama le petit vampyr en les suivant d'un pas sautillant.

Les deux amants ne lui répondirent pas, et enfourchèrent leurs montures.

— Prenez-moi avec vous !

Kristoffer lui adressa un regard dédaigneux.

— Tu serais plus un fardeau qu'autre chose, cracha-t-il et Caroline acquiesça silencieusement.

— J'serais l'ombre de votre ombre !

Kristoffer et Caroline l'ignorèrent, et leurs chevaux partirent en trottinant, tandis que le petit être les poursuivait en courant, aussi vite que ses petites jambes le pouvaient.

— L'ombre de vot'chien ! cria-t-il, mais les deux voyageurs étaient déjà loin.

Elle s'appelait VengeanceWhere stories live. Discover now