Chapitre VIII ~ L'arc et le bâton

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Tout se passa comme prévu, et Inès, armée de son courage et de sa détermination, suivie par Vaurien qui lui jurait de la rattraper si elle venait par malheur à tomber du mur, escalada la façade en pierre du manoir des Cresos, jusqu'à atteindre la fenêtre du troisième étage. Celle-ci était grande ouverte, et elle se glissa à l'intérieur, pour ensuite tendre la main à Vaurien et l'aider à grimper. La porte de la trésorerie était en acier, et il n'y avait pas de poignée, mais une serrure en pierre sur laquelle Inès écrasa une goutte de son sang. Dans un cliquetis, la porte s'ouvrit d'elle-même, sur une immense salle circulaire. Au centre, soutenu par un bras en argent, l'Arc de Lumière semblait régner sur la pièce ; à quelques centimètres de lui, sa flèche reposait sur un socle en bronze. Inès se précipita, et l'Arc lui parut étrangement léger lorsqu'elle le souleva. Elle le fit passer d'une main à l'autre, le soupesant, admirant la finesse de ses dorures. Puis elle s'empara de la flèche et, rayonnante, se tourna vers Vaurien qui avait, de son côté, mis la main sur le bâton, et en avait profité pour empocher quelques bijoux en or qui lui avaient tapé dans l'oeil.

Tout contents, il sortirent, et redescendirent. Comme promis, Vénec les attendait en bas avec Chukka et un petit cheval blanc, sellé et prêt à partir. Il récupéra son bâton, remercia nos deux compagnons et les salua chaleureusement, leur souhaitant bonne chance dans la suite de leurs aventures. Ainsi, Inès et Vaurien quittèrent la ville, avec, en leur possession, le plus précieux trésor des Cresos.

Il était déjà trop tard lorsqu'ils réalisèrent qu'ils avaient oublié de demander à Gibselle ou à Vénec de leur fournir une carte, et il fut décidé qu'ils continueraient simplement vers le nord jusqu'à tomber sur quelque chose. Des bois leur barraient la route, et ils s'y engouffrèrent : Vaurien, tout étonné, disait n'avoir jamais entendu parler d'une petite forêt au-dessus de Plomastel, lui qui connaissait pourtant si bien la région. Les arbres de ce bois étaient hauts et minces, et leurs feuilles étaient rondes et claires, striées de petites veines blanches. Il n'y avait pas d'insectes, d'oiseaux, ni la trace d'un quelconque animal : on aurait dit que la forêt était sans vie.

Au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans cette végétation étrange, Vaurien sentait grandir en lui une sensation de malaise, sans doute due à son instinct de vampyr. Chukka et Armand, le cheval d'Inès, avaient également l'air de sentir quelque chose d'anormal, et avançaient d'un pas traînant, se serrant l'un contre l'autre.

- Quelque chose ne va pas avec cette forêt, Mam'zelle, souffla Vaurien en se tortillant sur le dos de sa chèvre.

- En effet, Armand aussi a l'air tendu, marmonna Inès en caressant l'encolure du cheval d'un geste qui se voulait rassurant.

- Nous sommes épiés, Mam'zelle, insista le petit vampyr sur un ton inquiet.

Et alors qu'il prononçait ses mots, un puissant sifflement se fit entendre, et deux hommes bondirent des arbres les plus proches, tous deux vêtus de simples tuniques en toile et de larges chapeaux à plumes qui jetaient une ombre sur leur visage. Ils étaient armés de longues épées en métal qu'ils pointaient dans la direction des deux voyageurs. Un troisième, toujours perché sur une branche, serrant dans sa main gantée une petite boule de verre dans laquelle dansait une épaisse fumée mauve, lança d'une voix rauque :

- Halte, voyageurs ! Vous êtes tombés dans notre piège ! Séparez-vous immédiatement de vos bourses et de tous vos objets de valeur ou nous vous les arracherons par la force !

Inès, fixait l'homme d'un air ahuri, n'arrivant pas encore à réaliser qu'elle avait pour la première fois affaire à des bandits de grand chemin. Vaurien fut plus rapide pour réagir : il prit un air aussi menaçant que possible et montra les crocs en sifflant.

- Approchez-vous et j'vous dévore, stupides humains ! rugit-il, et ces mots ramenèrent Inès à la réalité : aussi rapide que l'éclair, elle saisit son arc, y banda la flèche et la pointa sur le bandit qui était perché dans l'arbre, au-dessus d'eux.

- Approchez-vous et je vous transperce ! tonna-t-elle, tandis que l'arme brûlait entre ses doigts du désir d'être utilisée.

Les deux hommes qui étaient à terre reculèrent.

- C'est quoi c'machin? T'as vu les dents du gamin?! s'exclama l'un.

- Y va nous bouffer ! beugla l'autre, et il lança son épée sur le jeune vampyr.

La lame vint se planter dans le torse de Vaurien, et celui-ci ne réagit pas, contrairement à Chukka qui bondit de peur. Sous les yeux ébahis d'Inès et des trois bandits, le jeune garçon attrapa le manche de l'épée et la délogea de son corps en affichant un visage dénué de toute émotion. Puis il baissa la tête et contempla la blessure provoquée par l'arme d'un air agacé, bougonnant :

- Zut, des traces de sang sur la tenue qu'on vient d'acheter !

La respiration d'Inès se détendit : pendant un instant, elle avait oublié que Vaurien était immortel. C'était la deuxième fois qu'elle le voyait se blesser, mais le fait qu'il ne ressente aucune douleur était toujours aussi impressionnant à ses yeux. D'ailleurs, à la vue de ce spectacle, les deux bandits se mirent à hurler et s'enfuirent en courant. Réalisant soudain qu'elle avait quitté sa cible des yeux, Inès leva la tête, pour constater que le troisième bandit avait disparu.

- C'est ça, fuyez, bande de bons à rien ! gueula-t-il depuis un arbre un peu plus loin derrière eux, et la jeune princesse pointa l'Arc bandé dans sa direction. Oui, c'est ça, tirez, tirez ! Tuez-moi ! Cette forêt est un enchantement, une illusion que j'ai créée. Si vous me tuez, jamais vous ne parviendrez à en sortir !

Il éclata d'un rire nerveux.

- Eh bien alors? Qu'est-ce que vous attendez pour m'abattre? lança-t-il, riant toujours.

- Rien du tout, répondit Inès, et elle tira.

Elle avait visé le coeur, mais la flèche fila et traversa le cou du bandit, qui vit la mort dans les yeux, et tomba de sa branche comme une pierre, le visage figé en une expression de choc. La boule de verre qu'il tenait explosa sur le sol, et dès qu'elle fut brisée l'enchantement se rompit, et la forêt disparut. Il ne restait plus que le cadavre du bandit, étalé sur le sol à côté de la route, et les deux autres voleurs qui prenaient les jambes à leur cou. La flèche réapparut dans la paume d'Inès.

- Est-ce qu'on les laisse s'enfuir? demanda Vaurien à Inès.

- Bah, ils sont trop loin pour que j'arrive à les toucher avec mon arc, de plus les cibles en mouvement sont une vraie plaie ! grogna la jeune princesse, et nos deux compagnons reprirent tranquillement leur chemin.

Elle s'appelait VengeanceUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum