Chapitre II ~ Le réveil et le coup d'épée

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Pour la première fois dans sa vie, Caroline connut la faim, la soif, la fatigue, à une extrêmité qu'elle n'aurait jamais crue possible. Elle avait toujours vécu dans le luxe du château, se nourrissant de viande tous les jours, se faisant laver, habiller, coiffer. À l'époque, elle rêvait d'aventure : aussi, son père la laissa-t-il apprendre à monter à cheval comme un homme, et elle s'avéra être une excellente cavalière. Elle voulut apprendre à manier l'épée, comme son cousin, mais le Roi lui interdisait fermement d'approcher n'importe quelle arme. À force de supplier, elle parvint néanmoins à le convaincre de lui apprendre le tir à l'arc, discipline considérée comme étant plus noble et moins dangereuse, convenant mieux à une femme, puisqu'elle n'impliquait pas de corps à corps. Malheureusement, Caroline se révéla être une bien piètre tireuse.

Mais elle ne se découragea pas : elle s'entraîna sans cesse, s'échappant même de sa chambre au beau milieu de la nuit pour se rendre dans la salle d'entraînement et tirer flèche sur flèche, chaque coup la rapprochant du centre de la cible. Le matin, elle se réveillait avec les mains en sang et les yeux cernés de bleu, mais cela ne l'empêchait pas de recommencer la nuit suivante.
Un soir, Kristoffer la surprit en train de s'entraîner, et fut impressionné par sa détermination : à partir de ce jour, il assista silencieusement à chacune de ses petites séances nocturnes. Caroline s'améliorait, lentement, difficilement, mais elle s'améliorait !
Lui de son côté excellait dans la maîtrise de toutes les armes, et gravissait les échelons dans l'armée à une rapidité déconcertante.

Ils vivaient leur amour dans l'ombre, et cela aurait pu suffire à la jeune princesse, si son père ne lui avait pas brutalement annoncé vouloir la marier à l'héritier d'un royaume voisin, afin de consolider les relations entre les deux États. Elle n'avait que dix-huit ans, et ne comptait pas s'enchaîner de sitôt ; mais si ça devait être le cas, elle voulait que ce soit avec Kristoffer, personne d'autre. Les deux amants décidèrent donc de s'enfuir, afin d'aller vivre librement leur idylle dans pays lointain.

Ils ne savaient pas exactement où ils allaient, le plus important, pour le moment, disait Kristoffer, étant de s'éloigner du château. Il avait une carte, et c'est lui qui les conduisait à travers la forêt, Caroline ne faisant que suivre et s'extasier du paysage. C'était la première fois qu'elle sortait de l'enceinte du château, et Kristoffer lui montrait les différentes plantes, les différents animaux, les différents insectes, et elle s'émerveillait devant tout ce qu'il lui présentait.

- N'empêche-t-il, quelle créature étrange que ce... vampyr, se remémora Caroline en fronçant les sourcils, le corps bercé par les pas de Valour.

- J'avais entendu des légendes au sujet d'hommes se nourrissant de sang, répondit tranquillement Kristoffer. Mais je ne savais pas qu'ils existaient vraiment. Oh, regarde, ma mie, des tulipes !

Kristoffer tira sur les rennes de son cheval et sauta à terre, pour délicatement briser, à l'aide de son ongle, la tige d'une des fleurs rouges, et l'offrir à Caroline en souriant.

- Comme elle est belle, murmura la jeune princesse.

Elle se pencha et déposa un baiser sur les lèvres de son amant, avant de coincer la tulipe dans le décolleté de sa robe. Elle avait desserré son corset, pour pouvoir respirer librement, et déchiré ses jupons pour pouvoir se tenir confortablement sur la selle.

- La nuit va bientôt tomber, nous ferions mieux de trouver un endroit où dormir, lança Kristoffer en se remettant en selle.

Ils s'arrêtèrent un peu plus loin, et s'installèrent au pied d'un immense saule pleureur qui les embrassa de ses branches. Ils terminèrent les biscuits secs, et mangèrent les fraises qu'ils avaient cueillies sur la route. Caroline avait encore faim, et elle aurait voulu de la viande, mais ne se plaignit pas de l'inconsistance de ce repas. Ils s'endormirent, serrés l'un contre l'autre.

Caroline fut réveillée par la lumière du soleil qui lui baignait le visage, et elle s'étira longuement avant d'essayer délicatement d'ouvrir les yeux. Elle réalisa alors brusquement que Kristoffer n'était plus à ses côtés. Elle se leva péniblement, rongée par l'inquiétude, et constata avec horreur que les chevaux n'étaient plus là, ni Obéron, ni Valour. Ils s'étaient tous volatilisés. Mais que s'était-il donc passé pendant la nuit?

- Kristoffer ! cria-t-elle, faisant le tour des environs. Kristoffer !

Aucune réponse. La forêt était si calme qu'elle en devenait effrayante. C'est alors que Caroline réalisa la gravité de la situation : elle était seule, sans cheval, ni eau, ni nourriture, et surtout sans la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait. Elle n'avait fait que suivre Kristoffer pendant tout le trajet, il lui était impossible ne serait-ce que de retrouver le chemin par lequel ils étaient arrivés ! Kristoffer... Que s'était-il passé? Lui était-il arrivé quelque chose?

Tout à coup, Caroline entendit un craquement, et se retourna brusquement, pour voir émerger d'un buisson le petit vampyr de la veille. Il serrait dans ses petits bras une montagne de pommes, et, en apercevant la jeune fille, se mit à sautiller.

- Mam'zelle ! Mam'zelle ! Vot'copain, là. Il s'est fait la malle !

Caroline le fixait d'un air ahuri.

- J'l'e vois se barrer avec les chevaux, continua très sérieusement le petit être, alors, moi, j'comprends pas, j'vais le voir, et là j'lui fais "Eh, M'sieur, vous allez où comme ça sans vot'copine?" Autant vous dire qu'il a pas été content de m'voir ! Ni une ni trois, il sort son épée, et pang !

- Pang? répéta Caroline d'un air abasourdi.

C'est alors que la petite créature ouvrit les bras, et les pommes s'écrasèrent sur le sol : les yeux de Caroline s'arrondirent, de stupéfaction et d'horreur. La grande blouse en coton était couverte de traces de sang séché, et, à un endroit en particulier, juste à côté du coeur, on pouvait apercevoir, à travers la déchirure provoquée par la lame, la peau brunâtre, déchiquetée.

- Pang, il m'donne un coup d'épée !

Elle s'appelait VengeanceWhere stories live. Discover now