Chapitre VI ~ Le renard et la lumière

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Elle retrouva Vaurien deux rues plus loin, reconnaissant sa chevelure corbeau, accompagnée du pelage blanc de Chukka qu'on pouvait difficilement apercevoir entre un jupon et deux paires de jambes. Le petit vampyr s'était lui aussi inquiété, et il fut très content de retrouver la jeune princesse ; ils reprirent la route ensemble, faisait bien attention cette fois-ci à ne pas se perdre.

Inès s'acheta une petite robe en laine, afin de remplacer sa toilette qui tombait en haillons, et une belle paire de bottes équipées de renforts métalliques, confortables pour la marche. Elle paya à Vaurien un vêtement de jute très résistant, et de petites chaussures de cuir. La nuit commençait à tomber, et ils retournèrent à l'auberge, où Gibselle les accueillit avec son habituel sourire.

Le lendemain matin, après avoir petit-déjeuné, ils se rendirent à la Grand Place : le Partage de Lumière y aurait lieu à midi pile, et les gens s'y réunissaient déjà, espérant trouver les meilleures places pour assister au spectacle. Inès, Vaurien et Chukka  se retrouvèrent serrés entre un vieil homme boiteux accompagné de sa fille, un voyageur qui avait le nez plongé dans son carnet où il grifonait frénétiquement, et une demoiselle aveugle et ses deux amies. Pas très loin d'eux, une vieille femme se plaignait d'avoir perdu son chat.

Midi sonna, et un homme d'une soixantaine d'années monta sur l'estrade aménagée. Il fit un rapide discours, et Inès comprit qu'il était le père de la famille Cresos, celui qui tirerait la flèche. Deux jeunes hommes le rejoignirent, l'un portant un arc gigantesque, à la courbe fine et délicate, mais l'allure puissante ; l'autre tenant la flèche, longue et mince, dont la pointe était taillée dans du diamant. Ils se prosternèrent devant le patriarche, qui saisit l'arc, y plaça la flèche, et, avec une habilité et une force qu'on ne lui aurait jamais crûe, tendit la corde, la pointe de la flèche visant le ciel. Lorsqu'il lâcha la corde, la flèche partit à une rapidité étonnante, et seule la pointe brillante était encore visible, filant comme une étoile. Brusquement, elle s'arrêta, et éclata en une centaine de petites larmes dorées qui arrosèrent l'assistance. Tout le monde levait les mains, criait, pleurait, applaudissait.

Une petite gouttelette dorée s'écrasa sur le visage du vieil homme boiteux qui se tenait devant Inès et, sous les yeux ébahis de la jeune fille, il posa sa jambe au sol, et se mit à bondir comme un agneau, riant comme un enfant. La demoiselle aveugle semblait avoir retrouvé la vue, et elle découvrait pour la première fois le monde, embrassait ses amies, les joues inondées de larmes de joie.

- C'est pas croyable, marmonna Vaurien, serrant la main d'Inès entre ses petits doigts.

- Oui, approuva la jeune fille. Il me faut cet arc.

Vaurien leva vers elle des yeux ébahis.

- Vous êtes pas sérieuse, là, Mam'zelle, si?

- Mais enfin, Vaurien, ces types le gardent rangé dans une vitrine et le sortent une fois par an pour guérir les quinze gars venus dans leur ville ! Imagine un peu ce qu'on pourrait faire avec une arme pareille ! siffla Inès.

C'est alors qu'elle remarqua le regard dont la perçait le voyageur à côté de Vaurien. Il referma son carnet d'un coup sec, et passa la main dans ses cheveux noirs coupés en brosse : il avait une peau brunie par le soleil, des yeux tachetés de miel et un visage en lame de couteau. Tout en lui paraissait exotique, lointain, des traits de son visage à sa tenue ample et ses étranges chaussures pointues.

- Vous n'êtes pas la première, ma chère, à convoiter ce précieux objet, lui dit-t-il en plissant les yeux, et sa voix grave était teintée d'un merveilleux accent qui faisait couler les mots sur sa langue. Nombreux ont essayé de mettre la main dessus avant vous. Mais aucun n'a réussi. Vous voulez savoir pourquoi?

Inès ne répondit pas, détaillant le jeune homme d'un air surpris. Celui-ci s'avança brutalement vers elle.

- Deux heures, à La Taverne du Bigleux, lui glissa-t-il à l'oreille. Ne soyez pas en retard.

Et il la dépassa, se faufilant entre les spectateurs avec agilité, avant de disparaître de sa vue. Vaurien avait suivi l'échange d'un air perplexe, et il avait toujours la tête tournée et le regard perdu dans la direction par laquelle le voyageur s'était enfui.

- Vous comptez y aller, Mam'zelle? demanda-t-il en levant la tête vers Inès.

- Bien sûr que non, marmonna-t-elle. Je n'ai pas besoin de l'aide de ce saltimbanque pour m'approprier l'Arc de Lumière.

Vaurien lâche un petit rire, et il caressa tendrement le pelage de Chukka.

- J'propose qu'on aille en discuter dans un endroit où il y aura un peu moins de monde, fit-il en montant sur son dos.

- Très bien, approuva Inès en souriant, et ils quittèrent la Grand Place, alors que les gens commençaient à chanter et à danser, pour s'engouffrer dans une petite rue plus tranquille.

Inès voulait s'emparer de l'Arc dans l'après-midi et immédiatement quitter la ville ; Vaurien proposait de rester une nuit de plus, et d'élaborer un plan un peu plus solide. Mais les deux considéraient que la partie la plus difficile était de fuir la ville, une fois l'objet magique en leur possession. Aucun d'entre eux n'envisageait que le vol en lui-même ne puisse leur poser un quelconque problème : c'était une première, aussi bien pour Inès que pour Vaurien.

- Les soldats à cheval nous rattraperont très facilement, si on est à pied, fit-il sagement remarquer.

- Pas si nous nous cachons, répliqua Inès. Il nous suffira de les semer, et hop, le tour est joué !

- Mais ce serait pas plus facile de voler un cheval, tant qu'on y est, Mam'zelle? grogna le petit vampyr.

Trois heures sonnèrent, et Vaurien riait encore en pensant au jeune voyageur auquel ils avaient posé un charmant lapin. Et alors qu'ils étaient tranquillement assis sur le rebord en pierre d'une petite fontaine, en face d'une jolie taverne, un cri retentit.

- Ah ! Vous voilà !

Le même voyageur, duquel Vaurien se moquait il y a quelques instants de cela, se tenait devant eux, les mains sur les hanches, l'air mécontent.

- Je vous ai cherchée partout ! s'exclama le jeune homme en pointant sur Inès un doigt accusateur. Il est deux heures passées ! Avez-vous oublié notre rendez-vous?

- Notre rendez-vous? répéta la jeune femme sur un ton las. Je ne me rappelle pas vous avoir confirmé ma venue. Je suis désolée, monsieur, mais je n'ai pas de temps à perdre avec un petit joueur de tours de votre calibre.

La stupéfaction passa sur les traits de l'inconnu, mais il se reprit bien vite, secouant la tête d'un air agacé.

- Mademoiselle, je crains que vous ne sachiez pas à qui vous avez affaire !

En quelques pas, il avait atteint nos deux amis, et, dissimulant ses lèvres derrière le dos de sa main, comme s'il voulait leur confier un secret, il murmura :

- Je suis Vénec Ali, troisième du nom, voleur professionnel... Enchanté de vous revoir, même si les circonstances ne sont pas idéales, ma très chère princesse Caroline.

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Voilà voilà, je sais que ça fait assez longtemps que je n'ai pas posté de nouveau chapitre, mais je m'y remets ! Merci à tous ceux qui suivent cette histoire, vous êtes des amours :)

Votre dévouée,

—Cece

Elle s'appelait VengeanceWhere stories live. Discover now