Elle s'appelait Vengeance

Chapitre X ~ Dîner funèbre et modeste prédiction

- Installez-vous, installez-vous ! Vous devez être affamés, je vais aller vous préparer à manger, mes poussins !

La vieille sorcière disparut dans la cuisine, et Inès et Vaurien pouvaient entendre les tiroirs claquer et les casseroles s'entrechoquer. Pendant ce temps, nos deux amis découvraient avec des yeux ronds l'intérieur de la maison. L'immense cheminée en pierre abritait un gros chaudron sur la surface duquel dansaient les lumières des bougies, parce que la maison n'avait aucune fenêtre. Le désordre régnait dans la pièce : des objets plus farfelus les uns que les autres étaient disposés n'importe comment sur les étagères, les armoires, les bibliothèques. C'était comme si la vieille sorcière avait simplement déposé chaque nouvelle trouvaille dans les endroits disponibles, la coinçant entre deux autres, sans aucun ordre ou logique. Inès grimaça lorsque son regard se posa sur une étagère où étaient alignés des bocaux emplis d'un liquide visqueux, dans lequel évoluaient des créatures étranges. Vaurien, quant à lui, s'était penché pour admirer un magnifique rouet.

- Attention ! s'exclama la vieille sorcière derrière lui alors qu'il en approchait la main, si tu t'y piques, tu sombreras dans un sommeil éternel !

Vaurien s'écarta du rouet sans se faire prier, et rejoignit Inès à la table, où la vieille déposait deux gobelets et un pichet. Inès, qui était assoiffée, se servit directement, et avala plusieurs gorgées de l'étrange mixture, surprise par le goût et la consistance.

- C'est pas du vin, ça, grogna-t-elle.

Elle n'avait jamais rien goûté de semblable auparavant. Alors qu'elle commençait à se demander si la vieille n'essayait pas de les empoisonner avec quelque boisson douteuse, celle-ci revenait et leur disait doucement :

- C'est du jus de chauve-souris, ma petite.

Ele pâlit, et recracha immédiatement ce qu'elle avait encore dans la bouche, sous les éclats de rire de Vaurien.

- Comment avez-vous pu me servir ça? s'indigna-t-elle en abattant le gobelet sur la table, l'air franchement écoeuré.

- Eh bien, mes petits, sachez que le jus de chauve-souris est très bon pour la peau, dit la vieille sur un ton savant, avant d'ajouter malicieusement : Ça avait pourtant l'air de te plaire, jusqu'à ce que je te dise de quoi il s'agit...

- De l'eau, demanda Inès d'une voix étouffée. Juste de l'eau, ça ira.

La vieille sorcière croisa les bras sur sa poitrine, marmonnant :

- Si ça ne vous plaît pas, je pense que tu ne seras pas plus tentée par le reste du menu...

- Le reste du menu?

- En entrée, pattes de crapaud sautées aux champignons, et langues de serpent. En plat principal, de la viande de licorne bien saignante. En accompagnement, de la cervelle de boeuf épluchée. Et enfin, au dessert, des souris glacées, et des mouches au sucre.

Inès sentit la bile lui monter dans la gorge, et secoua nerveusement la tête.

- Je crois que je vais aller me coucher le ventre vide, merci bien !

- Oh, non, attendez, maugréa la sorcière. Vous êtes mes invités, je me dois de prendre soin de vous ! Nous n'avons qu'à tuer la chèvre, et nous faire un petit rôti.

- Chukka? s'exclama Vaurien, bondissant de son siège.

- Vous lui avez même donné un prénom, comme c'est mignon !

- C'est hors de question ! beugla le petit vampyr. Moi vivant, personne ne touchera à un poil de ma Chukka !

La vieille femme soupira.