2 - un adolescent pas comme les autres

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Ce samedi matin, j'ouvris les yeux aussi doucement que je respirais. Cette boule au ventre ne disparaissait pas, mais à différence des autres jours, elle était moins intense. Je retrouvais un semblant de bien être, le plaisir d'apprécier qu'un nouveau jour se lève.

Aujourd'hui, je n'avais pas à avoir peur d'attendre le bus qui me mènerait jusqu'au collège : cet enfer. Mes journées là-bas, n'était que le prolongement du cauchemar qui commençait dès que je montais à bord de l'autocar. Pas de répit, pas une infime seconde je pouvais espérer être tranquille. Dès l'instant où ils posaient leurs yeux sur moi, je me transformais en animal de foire. Quand ce n'était pas des insultes ou que je ne recevais pas des boules de papier sur la tête, on me crachait dessus. On me pointait du doigt en riant, sans que je ne sache la raison. M'humilier était leur jeu favori. Je ne pouvais compter sur personne, ni même le chauffeur que je soupçonnais d'être sourd et aveugle.

Après avoir avalé le verre de jus d'orange qui me servait de petit déjeuner, je franchis la porte d'entée. Soudain, le vent me surprit par sa fraîcheur. Je n'avais pas prit la peine de me coiffer alors peu m'importer le désordre de mes cheveux. J'empruntais l'allée du jardin menant jusqu'à la rue. L'absence de mes parents me dispensais de leurs remarques. Non, je n'enroulerai pas d'écharpe autour de mon cou. Je préférais frissonner, sentir mes poils se hérisser sur ma peau. Ainsi, j'avais l'impression d'être plus vivant que jamais.

Ce qui serait extraordinaire, ce serait de pouvoir sentir l'air d'encore plus proche. Imaginer, ne serait-ce un instant, que je puisse être capable de voler. D'un simple coup de pied sur le sol, mon corps s'élèverait pour monter de plus en plus haut et ainsi, pouvoir aller où je veux, là - ailleurs où mes soucis ne me suivraient pas. Les yeux levés vers le ciel, je contemplais son azur serein. Il n'y avait pas le moindre nuage à l'horizon. Cela annonçait une très belle journée.

Quelques minutes plus tard, j'abordais le quartier voisin. C'est alors, que le soleil m'éblouit. D'abord aveuglé, je ne percevais pas grand chose, seulement la silhouette métallique du dôme où le rayon reflétait durement. Posé en plein milieu du parc, on aurait dit un atome géant aux électrons multicolores. Il était encore de bonne heure, aucun rire d'enfants à la ronde. Je pensais être seul et pourtant, assis cette plaque tournante rouge, il y avait un garçon. C'était Lucas, le nouvel élève de ma classe.

— Salut !

Une, deux enjambées lui suffit pour être face à moi. Je me rendis seulement compte à ce moment-là, qu'il me dépassait d'au moins vingt centimètres. Un détail qui m'impressionnait. Il avait de charmantes boucles platines, l'une d'elles se rebellait en trainant devant son oeil. Lucas avait les yeux bleu-vert et un nez fin qui contrastait avec ses lèvres charnues qui s'étiraient en un sourire à faire pâlir d'envie.

Nous étions assis sur un banc. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'opportunité de discuter le plus simplement du monde avec quelqu'un et d'en faire la connaissance.

— Je suis arrivé en ville hier matin, expliqua Lucas.

— Tu habitais où avant de venir ici ?

— En Bretagne.

— Quand même, c'est un sacré dépaysement, non ?, soulignai-je.

Il y en avait des kilomètres entre le nord-ouest et le sud de la France. Les climats étaient tout aussi différents.

— C'est parfois nécessaire pour tout recommencer, avançait-il calmement tandis que je le regardais.

Je trouvais ça étrange, comme si Lucas avait choisi ses mots avec stratégie, cherchant même à les peser. Cela contribua à nourrir davantage le mystère qu'il dégageait.

— Cela fait à peine un an que je suis ici, avouai-je en traçant avec l'aide de mon pied, une ligne sur le gravier. J'aime beaucoup ce petit village, c'est plus calme qu'à Nice.

Durant notre conversation, Lucas ne mentionna jamais le nom de sa rue, ni celui de son quartier. Il déclarait seulement :

— Nous n'habitons pas très loin, toi et moi.

Quand je lui demandais de préciser, Lucas haussa simplement les épaules. Je me contentais alors de son silence, en déduisant malgré tout que nous étions presque voisins puisque je l'avais croisé dans ce parc. Pour tout avouer, c'était une manière que j'avais trouvé pour prolonger notre discussion. J'essayais aussi d'oublier ma stupéfaction quand il m'annonça savoir où était ma maison. J'ignorais comment prendre sa déclaration, si je devais m'en inquiéter ou non.

Nous mangions ensemble un sandwich acheté avec les pièces retrouvées dans le fond de nos poches. Le jambon n'avait pas de goût et il fallait chercher les feuilles de salade pour les trouver, mais cela ne perturba pas notre bonne humeur. Dans l'élan de notre promenade dans les rues du village, j'invitais Lucas à suivre mes pas. On longeait la route départementale et dépassions les dernières maisons pour aborder alors, les premiers champs. Deux chevaux nous regardaient avec étonnement, tandis que nous passions près de la clôture électrifiée. Le grand blond était derrière moi, se laissant guider avec une confiance semblable à celle qui m'envahissait. Je l'emmenais dans un endroit qui me tenait particulièrement à coeur : mon refuge inconditionnel. Je connaissais à peine Lucas et pourtant je voulais partager avec lui un peu de mon intimité, celle que d'ordinaire je préservais. Etait-ce une façon de le remercier pour m'avoir remarqué la veille ? D'un signe de la main, je l'entrainais au coeur des tournesols asséchés par le soleil méditerranéen. Sous nos pieds, l'herbe craquait et la poussière remuée par nos pas, se plaisait à salir nos godasses.

— Où allons-nous ? demandait Lucas en écartant de son passage, les longues tiges qui le gênait.

— Tu verras.

J'étais presque fier : c'était à mon tour d'attiser sa curiosité. Je souriais, signe de mon contentement. Je ne pensais pas, que passer du temps en sa compagnie, serait aussi grisant voire salvateur. J'avais surtout oublier ce que cela faisait d'avoir un ami...du moins, c'était l'espoir que je me faisais depuis que Lucas avait croisé ma route.

Quand nous franchissions les derniers tournesols, une prairie s'étendait devant nous. Un grand olivier probablement centenaire en vue de sa hauteur et de son envergure, étendait son ombre sur le parterre de pâquerettes et de pissenlits. J'assurais à Lucas que nous étions presque arrivés tandis que me parvenait, le son limpide de la rivière qui se trouvait à contrebas du chemin de terre où nous marchions présentement.

A notre arrivée, enfin - nous contemplions cette eau claire dont l'éclat nous enchantait. De l'autre côté de la rive, s'étendait un autre champ labouré. Lucas était au bord de l'eau pour y plonger ses doigts.

— Tu te baignes avec moi ?

Sans attendre de réponse, il s'empressait. Sur l'herbe, tomba son t-shirt à manches longues, rapidement rejoint par son jeans et sa paire de chaussures. C'est quand je me surpris à reluquer ses gestes et surtout son torse nu que Lucas tourna la tête :

— Tu n'as pas envie ?

— Il ne fait pas si chaud que ça !, ai-je soufflé, le regard fuyard.

Si Lucas hocha la tête pour confirmer mes dires, cela ne le décourageait pas. Il semblait plus motivé que jamais à profiter de cette eau claire. Je regardais mes pieds, pour rougir en toute discrétion. Non, vraiment, ce n'était pas normal d'apprécier cette vue. Quant à Lucas qui souriait toujours, il ne prit pas la peine - ô merci - de relever la chose. Ca m'évitait ainsi un plus grand malaise. Je ne le vis pas tremper son pied mais je l'entendais rire une fois la tâche accomplie. L'ex breton était dans l'eau, son buste seulement à découvert. Il riait, euphorique - les bras tendus et le visage levé vers le ciel. Le soleil tapait sur sa peau pâle. C'était une image étrangement hypnotique à laquelle je ne pouvait pas me détacher.

J'appris ce jour là, que Lucas était un type attaché aux petits plaisirs de la vie. Se baigner et se geler dans l'eau, à la mi-septembre était une de ses plus folles aspirations.

Lucas n'était définitivement pas, un adolescent comme les autres.

Seul à seulWhere stories live. Discover now