4 - je suis là

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Contrairement à d'habitude, je trouvais que le temps s'écoulait à une vitesse incroyable. Cela ne m'empêchais pas d'attendre avec hâte, les vacances de la Toussaint. Dans sept jours exactement, je pourrais laisser derrière moi les mésaventures dont j'étais le principal protagoniste. Je profiterai de ce temps libre, loin d'eux, sans que le stress et l'angoisse ne me tétanisent.

D'un naturel très têtu, je m'obstinais à ne pas parler à Lucas. Il nous arrivé pourtant de se croiser, mais nos rapports verbaux - du moins les miens, restaient très limités. S'il s'avérait difficile de l'éviter car Lucas occupait la place libre à côté de moi dans la majorité des cours, je profitais des rares fois où il n'était pas mon voisin de table pour souffler un peu. Dans ces moments là, je ne sentais ni son regard, ni son parfum. J'eus remarqué qu'il m'obsédait d'une drôle de façon. J'en appréciais trop les effluves pour que ce soit normal.

Lucas était apparu dans ma vie quand j'avais le plus besoin de quelqu'un. Il ne m'offrait pas seulement son amitié mais aussi l'impression que j'étais véritablement une bonne personne.

A la fin de la journée, je marchais hâtivement à travers la masse mouvante des collégiens. J'approchais de la sortie quand une voix m'interpella :

— Tu veux bien t'arrêter deux secondes ?

Jusque-là, je n'avais pas tenu compte de son appel. En fait, j'avais entendu Lucas dès l'instant où tout le monde rangeait ses affaires à la fin du cours. Je m'étais pressé mais il semblait bien décidé à me parler. Malgré mes efforts pour lui échapper, Lucas arrivait bientôt à ma hauteur.

— Qu'est-ce que tu veux Lucas ?

— Tu fais le chemin avec moi ?, proposait-il.

Incrédule, je m'arrêtais aussitôt de marcher pour lui faire face.

Le collège Saint Vincent n'était pas très loin de chez nous. Il m'arrivait parfois de m'y rendre ou de rentrer à pieds. Ce fut en remarquant de la fumée blanche sortir de sa bouche, que je revenais à la réalité. Les températures restaient douces mais l'on sentait peu à peu l'automne s'installer. Les jardins, les parcs publics, les rues prenaient une couleur ocre. Les feuilles des arbres viraient au rouge-orange avant de tomber par terre pour recouvrir les trottoirs, d'un tapis végétal craquant. Les premières pluies embaumaient le village d'un parfum ambré, tout droit descendu de la forêt alentour.

Lucas grelottait presque. C'est en sortant définitivement de mes pensées que je l'invitais à me suivre, alors que j'enfouissais mes mains dans les poches de ma veste pour poursuivre mon chemin. Nous ne parlions d'abord pas, puis inspirant profondément, j'articulais :

— Je suis désolé.

Comme un souffle. Je m'excusais d'avoir été si désagréable en espérant que Lucas comprenne que ce n'était pas contre lui. Il resta silencieux.

— J'ai été idiot de réagir comme ça, ajoutai-je

— Je ne t'en veux pas. Ce que je ne comprends pas Maël, c'est que tu te laisses faire. Ton silence les incite à continuer, à pousser le vice plus loin. C'est dangereux...

— Tu n'exagères pas un peu ?...

— Tu rigoles ! Est-ce que tu te rends compte qu'ils testent tes limites ? Ils n'ont en peut être pas conscience mais c'est bien la réalité. Lucas me fixait des yeux. Ils n'ont pas le droit de te traiter comme ça, il faut que tu leur montres ce que tu as dans le ventre !

Silence.

— Depuis combien de temps ça dure ?, demandait Lucas d'une voix plus douce. Je recommençais à marcher. Personne n'est au courant ? Ni même tes parents ?...Attends.

Il m'avait une nouvelle fois rattrapé, sa main refermée sur mon bras. Cette fois ci je ne luttais pas. A travers mon silence, Lucas eu la réponse à ses questions.

— Si tu refuses de leur en parler d'accord, mais cesses de me repousser. Accepte mon aide. Tu peux compter sur moi, tu peux me faire confiance.

Tout avait commencé l'année dernière. J'arrivais dans ce nouvel établissement, situé dans un village voisin de Montpellier car mon père avait décroché une promotion. Il avait une place plus importante dans l'entreprise qu'il avait intégré vingt ans plus tôt ; se rapprocher du siège social avait été l'une des contraintes qui n'en était finalement pas une pour lui. Alors, j'avais quitté Nice et mes repères, débarquant en plein milieu du second trimestre. Dès l'instant où je franchis le portail du collège, je savais que ça serait difficile pour moi. Et en entrant dans ma classe, cette impression se confirma : je me tenais face à tous mes nouveaux camarades pour me présenter rapidement, très mal à l'aise vis à vis de leurs regards. J'avais ensuite rejoins le bureau du fond. Je ne me sentais définitivement pas à ma place, et beaucoup me le firent comprendre le jour même.

Comment aurais-je pu essayer de bien m'intégrer si on ne m'en donnait pas l'opportunité ?

Pendant un moment, nous restions à discuter sur le palier de ma maison. J'attendais que Lucas disparaisse de mon champ de vision pour rentrer. Cette nuit-là, et depuis longtemps, je ne fis pas de cauchemars. En fait, je ne rêvais même pas. Si je savais que le lendemain je retournais à l'école, je savais que je n'étais plus seul. Lucas serait là et plus rien ne serait comme avant.

— Tu as compris ?

Lucas avait posé ses mains sur mes épaules. C'est en exerçant une légère pression dessus qu'il me ramena à la réalité. Je songeais un peu trop ce matin, mais j'avais écouté ses conseils. Je pouvais rester silencieux si je ne me sentais pas de parler, mais je devais répliquer d'une façon où d'une autre : l'idée étant de ne pas rester sans rien faire. Je devais être plus intelligent et arrêter de me voir comme une victime. C'était le deal : apprendre à me faire confiance.

Je n'aimais pas les mardis matin, pour la simple et bonne raison que nous commencions par deux heures de sport. Tout le trimestre, on alternait entre la piscine et le basket-ball. Je préférais largement les jeudis après-midi, bien que ma peur du ballon m'empêchait d'être très actif sur le terrain. Je n'étais pas un grand sportif, j'arrivais à peine à la moyenne.

Mon problème n'était pas l'eau, je savais nager. C'était plutôt le regard des autres. Je complexais sur mon corps, de par ma taille et ma maigreur. Alors que tous les autres garçons se hâtaient pour retirer leurs vêtements et enfiler leurs maillots de bain, je restais là, les pieds joints légèrement repliés vers l'intérieur. La tête basse, je me cachais et m'efforçais surtout de ne loucher sur aucun de mes camarades. J'étais troublé par cette incompréhensible phénomène qui se produisait à chaque fois. Le corps des garçons attiraient étrangement mon regard et je me surpris à aimer ce que je voyais. Certains, malgré leur quatorze ans, étaient déjà bien bâtis. Des fesses rebondies et plaisantes à regarder. Camille était sûrement le plus costaud. Il n'était pas réellement gros, en fait il était surtout très saignant. Ca ne m'étonnerait pas qu'il fasse de la musculation.

— Qu'est-ce que tu as, à me regarder comme ça ?, agressait Camille d'une vive voix.

Je ne m'étais même pas rendu compte que je le fixais.

— Maël, c'est un gay !, lâche un autre en se dépêchant de filer.

— Tu es un vrai porc, Duchamp ! T'avises plus à me reluquer, compris ?, grognait Camille en me pointant du doigt. Il était menaçant. 

En plus de me dépasser d'une bonne tête et demie - ce qui était impressionnant, autant dire que je redoutais l'instant où son poing atterrisse sur mon nez. Le grand brun me toisa avant de disparaître, suivit de ses copains hilares.

Finalement, il ne restait plus beaucoup de monde dans le vestiaire et notre professeur surgit devant la porte.

— Dépêchez-vous les gars. Maël, qu'est-ce que tu fais encore habillé ? Allez !

Je sursautais, empoignant mon maillot à contre coeur. Lucas m'attendait, posé contre l'encadrement de la porte. Il se retourna quand il comprit que son regard me dérangeait.

Seul à seulWhere stories live. Discover now