CHAPITRE 1

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« D'où que l'on revienne, d'où que l'on soit, c'est bon de rentrer chez soi » Maurane

Quatre ans.

Quatre longues années qu'elle n'était pas revenue. Autant de temps qu'elle n'avait pas perçu la douce chaleur du mois de juin lui réchauffer le corps, senti cette brise marine de l'océan Atlantique portant avec elle l'odeur des embruns. Pourtant la dernière fois qu'elle avait foulé ces terres, le bel azur s'était mis en rage. Mais aujourd'hui, Elena ne souhaitait plus revenir sur le passé.

Dès son diplôme en poche, son père s'était empressé d'affréter leur jet pour un retour rapide direction le Connecticut. Elena ne se plaignait pas, elle avait eu la chance de poursuivre ses études à Paris au sein des meilleures universités, lui permettant de faire de nombreuses rencontres personnelles et professionnelles, mais sa maison lui manquait. Par chance, lors de son départ quatre ans auparavant, Sophia, sa plus fidèle amie, l'avait suivie sans poser de questions. Pour le pire et pour le meilleur, disait-elle souvent.

Sophia et elle, se connaissaient depuis la plus tendre enfance, avaient fréquenté ensemble les établissements huppés, et les réunions familiales barbantes, leurs pères étant amis de longue date. Elle était sa sœur de cœur, partageant le même esprit, le même humour, mais surtout elles avaient toujours pu compter l'une sur l'autre. Sophia était montée dans l'avion un sac de voyage à la main, en lui demandant où elles allaient. Ce fut la seule question qu'elle posa et Elena l'aimait pour cela. Leurs vies étaient intimement liées, elle était sa meilleure amie.

Aujourd'hui encore, elle était restée elle-même en montant à bord, un sac à la main, déclarant seulement, « retour à la maison ».

La propriété se situait à Darien sur la côte du Connecticut, emplacement idéal alliant la campagne et la ville qui ne se trouvait qu'à une heure de route, son père ayant ses affaires à New York. C'est ici qu'elle avait grandi, au sein de ce domaine de trente hectares, en front de mer, agrémenté d'écuries, de paddock et d'une plage privée. « L'esperanza » avait été de nombreuses années son havre de paix pour se transformer en cage dorée par la suite. Sa mère, dont les origines étaient italiennes et espagnoles, avait choisi ce nom dès son aménagement. Elle avait tendance à dire que l'espoir était comme le soleil, après les ténèbres chaque matin il se levait.

La voiture avec chauffeur envoyée par son père s'engagea dans l'allée bordée de chênes majestueux menant à la maison principale. Le regard d'Elena s'imprégnait de chaque détail, chaque odeur. Elle aimait cette terre qui était une partie de son cœur, de son histoire. Elle en adorait chaque facette, le rouge teinté d'or que l'automne déposait sur les bois, l'hiver que le bord de mer rendait glacial, le printemps qui offrait renaissance et l'été lorsque le doux astre les honorait de ses rayons. Elena avait l'impression d'être partie si longtemps, loin de ses racines, loin des siens. Chaque souvenir lui revenait avec clarté : les chevaux, l'odeur de fleur d'oranger quand sa mère cuisinait, les courses dans les prés, les batailles à l'automne dans les feuilles, le ressac de l'océan et Lui.

Toujours lui.

La magnifique maison de maitre se distinguait au loin. La structure classique et élégante était construite sur deux étages. Au-devant, un vaste porche soutenu par des colonnes ioniques d'un blanc étincelant, était entouré de rosiers grimpants qui offraient en ces beaux jours de superbes fleurs. Sa mère Gabriella, les avait plantés à sa naissance et adorait s'en occuper autrefois. La façade extérieure comprenait de multiples fenêtres laissant entrer la lumière dans chaque couloir. Elle se souvenait des nombreux balcons donnant sur le jardin paysagé à l'arrière. Elena savait qu'en sortant du véhicule l'Alizé amènerait à son nez l'odeur exquise des petites fleurs sauvages poussant naturellement près de la côte. Avec un peu de chance, elle entendrait peut-être le son mélodieux et harmonieux du carillon que sa mère lui avait offert pour ses six ans, et que le souffle du vent mettait en mouvement. Que de souvenirs attachés à cette terre qui était celle de sa famille depuis des générations, et à présent la sienne. Margaret Mitchell avait écrit « la terre est la seule chose qui compte, la seule chose au monde qui dure, la seule chose qui vaille la peine qu'on travaille pour elle, qu'on se batte... ou qu'on meure ». Et Gabriella approuvait chacun de ses mots, elle est morte pour défendre sa terre et la vie qu'elle y menait. Elle répétait souvent à Elena que sa force et son impétuosité, elle la tirait de cette roche à laquelle les Caprielli étaient viscéralement liés.

L'excitation laissa place à l'appréhension. Que pouvait-elle à présent trouver en ces lieux qui avaient été témoin fut un temps, de bonheur et d'amour, pour finir par de la peine, du chagrin et de la désolation. Pouvait-elle présumer reconstruire sur cette terre devenue aussi aride que son cœur ? Elena avait bon espoir. Elle revint au présent lorsqu'Yvan, le chauffeur de son père arrêta la voiture au centre de l'allée circulaire, devant la demeure en pierre.

— Votre père vous attend, Mademoiselle Elena.

— Je sais, chuchota-t-elle.

— Il est heureux de votre retour vous savez, tout le monde l'est, lui dit-il avec chaleur.

Ça, elle n'en était pas sûre, mais cela lui donna un peu de courage pour s'extraire du véhicule. C'est lui qu'elle vit en premier, se tenant fièrement sous le porche de cette grande bâtisse, les mains dans les poches de son costume italien coupé sur mesure. Il n'avait presque pas changé, pourtant elle pouvait percevoir les marques que le temps avait laissées. Des teintes de gris parsemaient sa chevelure autrefois brunes et des rides entouraient maintenant ses yeux. Mais il n'avait rien perdu de sa prestance. Son père, Alessandro Caprielli, imposait le respect par sa seule présence, il était de ces hommes devant lesquels votre instinct premier était de vous soumettre ou de fuir. Il dégageait une force tranquille dont il fallait se méfier et dont les colères étaient inoubliables pour nombres de ses soldats.

Mais aujourd'hui dans ses yeux, elle pouvait percevoir un soupçon de tristesse. Seulement quelques mètres les séparaient l'un de l'autre, mais Elena restait sur ses gardes, elle n'avait pas pu oublier la raison de son départ et le temps n'y avait rien changé. Il dut sentir sa retenue car son regard se voila légèrement.

— Tu m'as manqué, principessa.

— Anche tu.

Il restait malgré tout son père, et le seul pilier qu'elle avait connu quand sa mère les avait brutalement quittés. Alors elle s'avança et le prit dans ses bras. Après tout, il n'était qu'un homme et il avait besoin d'elle. Elena se promit donc d'essayer de lui pardonner.

Elle était enfin chez elle.


Traduction : L'espoir

Princesse

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Reviens-moi - ÉDITÉWhere stories live. Discover now