Tome 2 - PROLOGUE

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« L'amour ne disparaît jamais.
La mort n'est rien
Je suis seulement passé dans la pièce d'à côté. »

Certains disaient qu'elle faisait partie intégrante de la vie. Un cycle naturel, un passage obligatoire. Lui pensait que c'était une belle connerie. Il regarda tout autour, tentant d'analyser malgré son esprit embrumé par l'alcool ce qui l'entourait. Des milliers de pétales blancs disposés sur le sol en pierres, des roses immaculées ornaient chaque banc et d'immenses bouquets envahissaient l'autel. Néanmoins, un assemblage complexe de roses aussi sombre que la nuit, posé près du bois, attirait l'attention. Les vitraux ancestraux diffusaient une douce lumière, et les voix cristallines des enfants du chœur qui s'élevaient, conféraient au moment un aspect magique.

Pourtant, derrière cet étalage, il ne voyait qu'hypocrisie et mensonge. Tous foulant ces lieux qui, y a encore quelques jours, était le témoin sanglant de sa disparition. Il y avait les invités qui paradaient, parés de leurs plus beaux atouts ; les curieux qu'une telle cérémonie réunissait ; les vautours, appareils photo en main, présents pour immortaliser ce que la mort elle-même avait laissé. Puis cet homme, tout de noir vêtu, prêchant la parole d'un Dieu qu'aujourd'hui il détestait plus que tout.

Une mascarade !

Il assistait, impuissant, rongé par la colère et le chagrin, à une mauvaise pièce de théâtre.

— ... jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière.

Voilà à quoi se résumait la vie humaine. Une série de péripéties, d'aléas en tout genre, dont aucune des personnes présentes ne pouvait témoigner. De sentiments et d'émotions divers, qu'aucun ne pourrait retranscrire. Il ne croyait plus en l'homme et il ne croyait plus en Dieu. Ce même Dieu qui lui avait impunément volé l'étincelle de sa vie. Ce même Dieu, qu'il jalousait, profitait à présent de cette lumière, de cet ange pour qui il aurait donné son existence. Ce même Dieu qu'il avait prié tant de fois. Le même qui l'avait abandonné, affligeant sur lui, humble mortel, son courroux divin, détruisant ainsi et à jamais sa vie, son cœur et son âme.

Poussière ! Il n'y croyait pas non plus. Un jour, il lui avait promis un paradis, un endroit où ils seraient à l'abri, un lieu à leur image où l'amour régnerait en maître. Mais la seule chose qui l'accompagnait aujourd'hui était la rage ! Un feu couvant sur la terre brûlée et dévastée qu'était à présent son cœur. Il les haïssait tous, avec leurs sourires hypocrites et leurs larmes factices, face à ce cercueil fermé qui garderait à jamais prisonnier une partie de son âme.

Une silhouette se détacha soudainement de l'assemblée. Drapée d'une fine robe noire, les cheveux blonds attachés en queue de cheval haute et le regard dissimulé sous de grands verres fumés, elle remonta lentement la nef. Le silence se fit et face à cette foule éclectique, elle prit la parole d'une voix douce. Au départ je n'entendis rien, incapable de me concentrer, mais brusquement ces paroles me percutèrent.

— ... Que les étoiles se retirent, qu'on les balaye. Démontez la lune et le soleil, videz l'océan et arrachez la forêt, car rien de bon ne peut advenir désormais.

Elle regagna sa place sans se rendre compte que ses mots, telles des lames affutées, avaient une nouvelle fois transpercé son cœur. Tremblant, les poings serrés, le regard brillant, la colère le consumait. Il voulait leur crier son malheur, les accuser de leurs fautes, les condamner pour leur lâcheté. Eux, coupables de tant de maux, de leur amour brisé, si court fût-il, de ses larmes qu'elle retenait si souvent, de ce destin qu'ils lui avaient tant de fois imposé. Mais avant qu'il ne fasse le moindre mouvement, une main chaude l'empoigna avec force et le conduisit vers la sortie.

Il avait l'impression d'étouffer, de se noyer. Chaque bouffée d'oxygène le consumait, chaque souvenir bon ou mauvais l'empoisonnait lentement. Alors, à bout de force, il se laissa tomber dans l'herbe fraîche, enfonçant ses doigts dans cette terre qu'elle chérissait tant, et hurla. Il déversa dans un cri inhumain, le visage levé vers le ciel, son chagrin, sa douleur et sa rage.

— Je te hais, je vous hais et je vous maudis tous !

Extrait du poème de Wystan Hugh Auden / Funeral Blues

Reviens-moi - ÉDITÉWhere stories live. Discover now