Chapitre 1 - lieu inconnu

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Parfois, l'être humain se retrouve submergé, - non pas sous des flots tumultueux, mais assailli par ses sentiments. A ce moment là, toutes les digues cèdent, impuissantes sous les assauts répétés du bélier émotionnel.

*

Une silhouette se découpe à travers la noirceur de la rue Saint-Denis. Le choc sourd des Rangers tapant contre les pavés fissurés se répercute, irréel.

La démarche de l'inconnu, hésitante, - non, titubante, - rend sa traversée périlleuse. Depuis son entrée dans ce qui tient plus de la ruelle que de l'avenue, il n'a progressé que de deux pauvres mètres.

Le voilà qui s'arrête, la main posée à plat sur la façade décrépie à sa gauche. Haletante, l'ombre tente de reprendre contrôle d'elle-même. Son corps semble être en proie à de légers tremblements. Ses poings se serrèrent le temps d'une seconde, puis il les relâcha. Quelques instants plus tard, l'inconnu reprit sa route, d'un pas plus décidé. La sombre silhouette dépassa l'unique réverbère – épave de la civilisation -, trop vite toutefois pour que sa pâle lueur clignotante ne révèle son identité. La porte devant laquelle l'inconnu se stoppe ne se démarque en rien de ses sœurs. Toutes portent les marques de leur passé, vestiges du temps : les vitre, pour autant qu'elles soient restées fidèles au poste, sont maculées de crasse ; les gonds, rouillés et à moitié déchaussés ; les poignées ne sont plus qu'un moignon de métal, lugubre invitation à sauter le pas.

Apparemment familière des lieux, la mystérieuse forme s'apprête à pénétrer dans ce qui ressemble à un hall d'immeuble, avant de porter la main à sa tête et, d'un geste brusque, presque incontrôlé, balance sa casquette, qui va s'échoir mollement au pied d'un mur. Celui-ci n'est pas fissuré, mais porte une autre balafre de la misère humaine : un tag s'étend sur presque la longueur. Le motif, confus et surchargé, fait s'enrouler toutes les couleurs imaginables entre elles, dans une danse sabbatique dont seul l'auteur connaît les méandres.

Une fois tête nue, comme soulagé d'avoir cédé à ce soubresaut, l'inconnu disparaît derrière la vitre sale. La porte, se refermant d'un air poussif, laisse tomber un écriteau poussiéreux, sur lequel on distingue péniblement le mot « club », les autres lettres étant illisibles, trop effacées par le temps.

L'homme, encore protégé par la nuit qui règne sur le lieu, fait mine de saisir une clé nonchalamment laissée sur un clou. Il est encore temps de revenir en arrière.

Que ferait-il à sa place ? Oh et puis merde, semble-t-il se dire, tout en saisissant la vieille clé rouillée, dont il connaît les moindres secrets.

Son cauchemar. Son meilleur ami. Son exutoire et l'étincelle qui le réduit en cendres. En face de lui, le punching-ball le défie.

Il pensait s'en être sorti. Ne plus jamais avoir à se dresser là, le dos droit, la machoire saillante, dans ce short de sport sobre. Il s'est bien planté. Il serre les poings. Se prépare au combat.

Soudain, les coups pleuvent sur le cylindre mat. Tout son corps s'agite, ses jambes sont rapides, ses bras encore plus. Comme habités d'une conscience propre, ils se précipitent contre leur adversaire, pris d'une impérieuse envie de faire saigner leurs jointures. Il est connu que la souffrance délivre du mal.

On le croirait en transe. Plus l'inconnu s'acharne sur le cylindre de cuir, plus on ressent l'étendue de sa rage, jusque là contenue. Par ses pores s'échappe la cristallisation de ses efforts. Mais, plus qu'à une démonstration de force brute, c'est à une lutte intérieure dont l'issue tient à sa volonté de vivre qu'il se livre.

Lentement, les coups s'espacent, jusqu'à ce que seul le souvenir des minutes précédentes ne fasse exister la violence, qui résonne encore aux oreilles de l'homme.

Machinalement, presque sans s'en rendre compte, il allume la lumière. Ensuite, il laisse glisser son seul habit sur le sol. Il l'abandonne là, sur le carrelage froid, et se dirige vers une porte que l'on n' avait pas encore remarqué. De ce côté-ci, une installation sommaire de douche l'attendait. Des griffures strient le pommeau, le rendant rugueux. Il s'en fout. L'eau coule sur son corps épuisé. Chaque goutte se fraie un passage sur cette terre étrangère.


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Voilà, je sais que je n'ai rien publié sur Wattpad depuis un certain temps, mais je tiens vraiment à cette histoire et je vais m'accrocher pour être régulière dans mes posts. 

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Jeux de Quilles [PAUSE]Where stories live. Discover now