Chapitre 3 - Berlin, Allemagne (Murielle)

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La maison – ou plutôt la villa – se dressait, imposante, un peu à l'écart de la ville. La grande terrasse à laquelle on accédait par une des baies vitrées finissait par laisser place à une pelouse bien entretenue. A première vue, la propriété n'était pas très accueillante : le portail et son interphone indiquaient clairement que n'entrait pas qui veut. Une fois que la propriétaire eut daigné donner son aval, on pouvait s'engager dans l'allée nous menant au graal – en l'occurrence la porte d'entrée.

L'intérieur était aussi clinquant que le jardin était démesuré (« Pfouu ! ça en jette ! » aurait été la réaction du cantonnier de tout à l'heure). L'architecture et la décoration étaient résolument modernes, tout en noir, blanc et or. Les différentes pièces étaient réparties sur quatres étages : au sous-sol, la cave et le sauna ; au rez-de-chaussée, un salon pourvu de gros fauteuils en cuir et d'une table en verre, une salle de bain ainsi qu'un grand bureau ; au deuxième, une chambre d'amis, la chambre de la propriétaire, un dressing à en faire pâlir Cristina Cordula, et, pour parfaire le tout, une salle de musique, où sont soigneusement entreposés un piano demi-queue, une harpe, un violon et une contrebasse. Le dernier étage, lui, accueillait le centre culturel de la demeure : une bibliothèque et son équivalent pour les films. Il y avait également, au détour d'un couloir, une pièce qui, contrairement aux autres, était fermée à clé...

Assurément, la personne qui habitait cette villa avait quelque chose à cacher, mais, si l'on y réfléchit quelques instants, on se rend compte que bien peu d'entre nous peuvent se targuer d'être transparent – c'est à dessein que je n'utilise pas l'expression « aussi facile à lire qu'un livre ouvert » car tout dépend du style de l'écrivain. Et puis, est-ce réellement une qualité que d'être lisse ?

En tout cas, la propriété était extrêmement bien tenue ; chaque chose avait sa place et y restait.

Mais qui donc vivait dans cet endroit qui, à défaut d'être idyllique (chacun sa conception de la chose) était pour le moins luxueux ?

– Madame, il est possible que j'ai, accidentellement, bien sûr, cassé une lampe en passant l'aspirateur dans le salon... Je... J'ai pensé que je devais vous en avertir, enfin, vous savez, je suis quelqu'un d'honnête, moi, pas comme le jardinier de l'année passée, qui était partie en vacances – déjà il a cru qu'il pouvait partir sans vous avertir, moi Madame, j'aurais jamais osé, enfin, vous me connaissez, hein, enfin donc je disais, lui, il avait pas coupé la haie, et ben vous l'avez découvert le lendemain et moi je me suis dit, non, Lynda, tu dois aller dire à Madame ce que tu as fait...

– Lynda. Calme-toi, je déteste que l'on s'agite autour de moi. Premièrement, j'espère pour toi que tu as tout ramassé et jeté dans la poubelle dédiée au verre – je ne veux pas voir le moindre éclat dans mon salon. De plus, tu as très certainement profité de ce... malheureux incident pour aller vider la poubelle de verre, je me trompe ? Secondement, cela va de soi que tu vas me la remplacer, cette lampe. Tu trouveras la référence dans les tickets de caisse. Tu n'es pas sans savoir que je garde tous les tickets, pour parer à toute éventualité, tu aurais donc pu y penser par toi-même. Tu aurais ainsi évité de me déranger pour une futilité. Passons. Puisque je suis d'humeur clémente, je vais fermer les yeux pour cette fois. Que cela ne se reproduise plus. Beaucoup de personnes cherchent un emploi...

– O-oui Madame, bien entendu Madame. Je m'en occupe. Tout de suite, conclue la jeune femme de ménage, bien que sa patronne soit déjà retournée à son occupation.

Murielle Delahaye, le visage imperturbable, observe avec attention sa nouvelle acquisition. Un tableau. Une toile de maître, cela va sans dire. Elle avait le projet de remplir cet emplacement vide depuis un moment, mais ce n'est qu'en ce jour de mai qu'elle avait déniché la perle rare. Autrefois, un portrait de son mari ornait le mur mais, lors de son décès, la femme Delahaye avait arbitré qu'il n'avait plus sa place ici. « Une page se tourne ».

Jeux de Quilles [PAUSE]Where stories live. Discover now