Chapitre 4.1 - Paris, France (Mika)

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Il se tenait là, à cinq mètres du vide. Il avala sa salive. Ça allait être chaud. C'est marrant, comme le temps semble suspendu, quand on hésite à sauter. D'un autre côté, le temps, il peut peut-être se distordre, toujours est-il qu'en bas, les gens vont commencer à le trouver long.

Ça pourrait faire une belle métaphore de la vie, ça. Tes parents, tes amis, c'est le parterre des spectateurs, ceux qui ont payé leur place, et maintenant, pour les rembourser, ils attendent que tu prennes ton envol, que tu en vailles la chandelle. Comme un retour sur investissement après un pari risqué. De toute manière, tes parents, ils ne pourront jamais te regarder droit dans les yeux et t'asséner que tu les as déçus, sauf si c'est pour que t'acceptes enfin de commencer ton exposé sur les fonds marins. K.O direct, on ne peut pas lutter.

Sinon, ça lui évoquait aussi un film de pirates. Le moment où on stresse pour le personnage principal, parce que le méchant le force à avancer sur une planche, et, au bout, il l'oblige à sauter en plein milieu de l'océan. A la différence près que lui, il a choisi de se retrouver perché là. Et qu'en bas, il y a un filet, juste au cas où. Bon, après, le but de base, c'est de produire quelque chose d'un minimum gracieux, ce qui ne sera pas le cas s'il s'écrase comme une crêpe dans le filet de secours.

« Tu peux le faire, tu peux le faire, tu peux le faire, t'es un champion, allez moi je crois en toi tu peux le faire...» Il se répétait en boucle, comme un mantra. Pourtant, il en était pas à son coup d'essai, mais c'était plus fort que lui, à chaque fois il flippait avant de se lancer. Et plus les gens croyaient en lui, plus ça devenait difficile à gérer, car quand tout le monde s'attend à en avoir plein les yeux, c'est encore pire si on se rate.

C'estt presque fascinant, la capacité de Mika à fanfaronner, à toujours avoir le mot pour rire, à se mettre dans des situations impossibles tout en gardant le sourire, et à flipper intérieurement quand il faut assumer. Intérieurement, parce qu'à l'extérieur, il est vu comme le roi de la voltige, peur de rien, un épicurien dans toute sa splendeur.

Comme il sent que l'attention est à son comble, et qu'il préfère boycotter son esprit avant que ses pensées ne le déconcentrent pour de bon, il saute.

Le corps bien arqué – personne ne veut voir une patate sauter dans le vide et payer pour ça – le jeune homme espéra très fort avoir mis la bonne impulsion dans son saut. C'est bon. Ses doigts s'accrochent à la barre qu'ils viennent de rencontrer – un trapèze volant, d'où le nom du numéro qu'il est en train de réaliser. En face de lui, de l'autre côté de la scène, son coéquipier a suivi le mouvement, donc après leur premier balancement ils pourront commencer les figures.

Le moment où l'on est en train de réaliser une performance artisitique est toujours un peu particulier, car le cerveau essaie à la fois de rester rationnel, ce qui est essentiel pour penser la suite de la chorégraphie, mais il veut également se laisser griser par l'instant. C'est la dualité du monde du spectacle : il est impératif de savoir garder les pieds sur terre pour pouvoir mener à bout le numéro préparé longuement à l'avance, mais le public ne sera pas transporté si vous n'avez pas vous-même la tête dans les étoiles.

La salle retient son souffle. C'est primordial pour les artistes de rendre la scène irréelle. Donner l'impression au spectateur de leur dévoiler une brèche dans la gravité. Un bouleversement de l'ordre des choses. Les acrobaties et la musique ouvrent tout un monde de possibles, font s'exprimer les plus nobles des émotions. Opposé au numéro précédant, tiré de l'art équestre, les mouvements aériens se doivent d'accompagner le spectateur vers un tout autre état d'esprit.

Jeux de Quilles [PAUSE]Where stories live. Discover now