I. Une rencontre inattendue.

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- Tu devrais venir à cette soirée, la pressait Louise, les derniers rayons du soleil d'été dansant dans ses mèches rousses. Clément sera là...

- Je me fiche de Clément. S'il est incapable d'envoyer un message pour demander à me voir afin de s'expliquer, alors il n'en vaut pas la peine, soupira Luna, agacée par les réflexions de sa meilleure amie.

- Mais...

Le regard noir qu'elle lui décocha de ses yeux d'un bleu saphir parvint à étrangler la remarque dans sa gorge. Depuis trois semaines que Clément et elle avaient mis fin à leur relation – enfin, qu'elle avait décidé d'y mettre un terme – Louise ne cessait de lui rabâcher que c'était une erreur.

Une erreur monumentale.

D'ailleurs, Louise n'avait pas l'air prête à abandonner la partie.

- Tu sais très bien qu'il ne t'aurait jamais trompée, non ? Enfin, Lu... cela fait presque trois ans que vous êtes ensemble.

- Cela ne veut rien dire. Écoute, l'interrompit-elle avant que Louise ne rétorque à nouveau, je ne veux plus en parler, c'est clair ? Ce n'est qu'un échec de plus parmi toutes mes relations foireuses.

Le serveur qui venait de lui apporter son jus de fruit en terrasse lui lança un regard à la fois interrogateur et amusé, qu'il essaya de dissimuler. L'Akathor, où elles étaient installées, était plein à craquer, tant en terrasse qu'à l'intérieur. L'écran géant qui diffusait le match de l'équipe de France contre la Belgique en était la principale raison. D'ailleurs, le cours Saleya était inondé de monde, par cette chaleureuse soirée de Juillet. Les embruns de la mer, à quelques mètres de là, embaumaient les narines sensibles de la jeune femme. Les Niçois et les Niçoises criaient de joie, s'interpellant avec cet accent caractéristique des méditerranéens. L'ambiance était à la fête.

Luna adorait cette atmosphère légère, cette communion entre tous. C'était toujours comme cela, à Nice. Mais aujourd'hui, le poids qu'elle ressentait en pensant à Clément l'empêchait d'apprécier pleinement ces festivités.

Elle saisit le petit carnet qu'elle gardait toujours dans son sac à main, rajustant au passage son chapeau à large bord qu'elle arborait sur ses cheveux d'un blond presque blanc. Sa peau diaphane avait légèrement bronzée depuis le début de l'été, les rares fois où son travail de bibliothécaire lui avait laissé l'occasion de se prélasser sur la plage du Castel, en bas du Château, mais elle craignait toujours autant le soleil.

- Alors, marmonna-t-elle en griffonnant avec hâte. Raisons pour lesquelles je ne devrais pas venir à cette soirée.

- Luna...

- Premièrement, Clément sera là. Deuxièmement... La voleuse de petit copain aussi. Troisièmement...

- Tu es ridicule.

- Comment peux-tu dire ça ? fit-elle semblant de s'offusquer.

- BUUUUT ! crièrent ensemble les Niçois en se levant instinctivement sous la joie qui fléchissait leurs genoux.

Distraitement, Luna et Louise se tournèrent vers l'écran géant, mais la foule en liesse ne leur permettait de pas de voir les images en replay de l'action. Fatiguée d'entendre Louise geindre et tenter de la convaincre, Luna ramassa ses affaires discrètement et en profita pour filer, cachée par la foule. Elle marcha avec hâte jusque sur la place Masséna, où le monde était plus éparpillé, et enfin, elle put respirer.

Des centaines de supporters se pressaient aux portes de la fanzone, installée au niveau de la Coulée Verte. D'ordinaire sensibles à ce genre d'engouement, Luna et son esprit étaient ailleurs, accaparés par leurs blessures. Trois semaines après avoir découvert l'infidélité de Clément, avec lequel elle sortait depuis la fin de l'université, la fureur de de la jeune femme à son encontre ne s'était toujours pas calmée, grandissant même à mesure qu'elle la ressassait. Et les remarques incessantes de Louise n'aidaient pas.

Luna repensait au sourire à peine dissimulé du serveur. Elle n'avait beau avoir que vingt-quatre ans, Luna n'avait connu que des échecs amoureux. Clément était même son premier et unique petit-ami. Elle était restée vierge jusqu'à ses vingt-et-un ans, quand toutes ses amies l'avaient perdue au lycée. Son premier baiser avait tardé jusqu'à ses vingt ans, et pour que les hommes daignent enfin lui adresser la parole, il avait fallu attendre jusqu'à ses dix-neuf ans.

Alors qu'elle déambulait lentement dans les rues, son esprit divagua jusqu'au début de sa rencontre avec Clément. La désillusion lui mordait douloureusement le cœur. Depuis le début, la jeune femme se doutait bien que cette relation ne mènerait à rien. Elle le savait, Clément n'était pas celui qui régnait dans son cœur. C'était un autre. Un autre, qui avait brisé ses rêves et ses espoirs d'adolescente. Luna se mordit la lèvre en tortillant ses longs cheveux blonds. Elle l'avait oublié, depuis, pour tomber amoureuse de Clément, mais le remords lui collait toujours à la peau. Si seulement...

Si seulement elle avait tout avoué avant qu'il ne parte, trois ans plus tôt.

Parce qu'elle en était convaincue, c'était lui, qui était fait pour elle, et encore plus maintenant que tout était fini si difficilement entre elle et Clément.

La nostalgie s'empara d'elle. Penser à Maxime lui procurait le même effet à chaque fois. Une vague de tristesse lorsqu'elle songeait à sa gentillesse, à leurs moments partagés, et à toutes ses occasions où elle avait manqué de lui avouer ce qu'elle ressentait vraiment pour lui.

Maxime et elle n'avaient jamais été très proches. Cependant, quand elle était avec lui, elle le sentait, ce lien si étrange et fascinant tissé entre leurs deux âmes.

Et maintenant...

Maintenant son chagrin le ramenait à lui, la douleur d'avoir perdu Clément et la fureur de s'être encore trompée le faisait apparaître devant elle, un air doux et surpris sur le visage de ce premier amour qu'elle avait tant chéri.

Toute à sa rêverie, Luna ne comprit pas que Maxime était bel et bien devant elle, jusqu'à qu'il lui saisisse le poignet alors qu'elle passait à côté.

- Luna ?

***

Elle sursauta à son contact, ne parvenant à croire ce que ses yeux lui montrait. Maxime ! Ses cheveux bruns, ses yeux bleu-gris avec leur point de vert au centre de la pupille, ce sourire ravageur... Un instant, Luna se vit propulsée trois ans auparavant, durant leur dernière année de fac. Elle vacilla sous le poids de son regard, et passa une main distraite dans ses cheveux presque aussi blanc que la lune.

- Maxime ? Qu'est-ce que...

- Je suis rentré, lui souffla-t-il chaleureusement sans cesser de lui tenir la main.

L'intensité avec laquelle il dévisageait Luna, pétrifiée par la stupeur dans sa petite robe rouge, manquait de faire danser ses jambes malgré elle. Tout cela semblait si irréel...

- Quand ça ?

Ce fut les seuls mots qu'elle parvint à prononcer.

- Depuis une heure. Je ne pensais pas que tu serais la première personne sur laquelle je tomberais, murmura-t-il en lâchant enfin sa main.

Le cœur de Luna battait à mille à l'heure lorsqu'il se rapprocha un peu plus d'elle.

- Je n'osais même pas l'espérer.

Une Dernière Nuit.Where stories live. Discover now