III. Une voix tant aimée.

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La lettre lui en était tombée des mains, virevoltant comme une feuille, suspendue dans les airs quelques secondes avant de s'écraser au sol, sur le parquet boisé de l'appartement. Luna demeurait stoïque, trop choquée pour esquisser le moindre mouvement. Dehors, le bruit ambiant de la ville, son agitation grouillant de vie continuait de monter jusqu'à sa fenêtre. Une petite brise d'été et de fin d'après-midi caressait ses cheveux blonds et sa peau nacrée, mais Luna ne bougeait toujours pas.

Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine lui donnait l'illusion qu'elle allait succomber à une attaque imminente. Qu'elle allait s'effondrer, par manque d'oxygène, au pied de cette lettre inespérée, de ces mots crève-cœur et assassins.

Cinq minutes furent nécessaires pour que son esprit remette en ordre toutes les pensées qui s'y bousculaient. D'une main fébrile, elle se pencha pour ramasser le bout de papier, l'autre main sur sa poitrine pour calmer la douleur qui s'élargissait de minute en minute.

Non, non, non. Maxime n'avait pas le droit de lui imposer un tel sentiment. Pas juste après avoir perdu Clément, et être parti trois longues années.

Tremblant de tous ses membres, elle s'assit sur son lit, soulageant ses jambes, et se mit à relire lentement et calmement les mots. Une dizaine de fois ; bientôt, elle connaissait la lettre par cœur. Luna aurait voulu croire que ce n'était qu'une farce, qu'une méprise, un tour que ses amis se seraient amusés à lui jouer pour chasser Clément de ses pensées. Mais le doute n'était même pas permis. Après toutes ces années à côtoyer Maxime, de classe en classe, depuis la seconde jusqu'à l'obtention de leur licence, son écriture lui était immédiatement reconnaissable.

« Te retrouver pour une nuit endiablée ».

Cette dernière nuit avant qu'il ne s'envole trois ans pour Bali. Luna ferma ses yeux bleus, en retenant des larmes d'émotion, se remémorant leur soirée. Les verres bus les uns après les autres, la danse au son des joueurs de trompette et les effluves de la mer alors qu'ils s'étaient promenés sur la plage, leurs mains s'effleurant innocemment de temps en temps...

Et après, plus rien. Un dernier regard, un dernier sourire, il était monté dans le bis de six heures du matin pour l'aéroport, après l'avoir raccompagnée dans son nouvel appartement sur la place Garibaldi.

Y repenser la fit tiquer sur un détail de la lettre, qu'elle se remit à parcourir avidement.

« Te retrouver pour une nuit endiablée. »

Tendrement, sans réellement savoir pourquoi, Luna se mit à toucher, presque à caresser, le tracé de l'encre qui avait formé ce dernier mot du bout des doigts. « Endiablée ».

Prise par une soudaine et inexplicable nostalgie, Luna se décida enfin à sortir de son inertie. Sa tête était vide, et son esprit comme flou, perdu. Sans même y réfléchir, sans y penser, elle s'habilla de sa petite robe rouge, enfila ses sandales sur ses petits pieds vernis, attrapa son sac et sortit dans la rue.

Alors qu'elle se dirigeait prestement vers le cours Saleya, ses yeux ne pouvaient s'empêcher de voler d'édifices en édifices, d'arrêtant sur le somptueux lycée Masséna au style élégant et ostentatoire, ou sur la coulée verte où les familles se prélassaient en ce début de soirée. Il est presque vingt heures, et le soleil amorçait doucement sa descente, répandant sa lueur orangée sur les façades rougeoyantes et les visages burinés des habitants.

En dix minutes, Luna se trouva en plein centre de la vieille ville, aux rues étroites et encombrées par les petits commerces et les touristes. Les passants se pressaient les uns contre les autres, et Luna, avec sa peau pâle, son teint diaphane, dénotait parmi les Niçois à la peau hâlée du mois de Juillet. La jeune femme avait beau y faire, impossible pour elle de prendre le soleil, chose que ses meilleurs amis et sa famille ne manquent pas de lui faire remarquer chaque saison estivale.

A mesure qu'elle avançait, Luna se perdait dans cette ambiance chaleureuse dans ce décor de couleurs vives et gaies à en perdre la tête, mais son cœur, lui, s'emballait sous les coups de la pression. Un frisson grimpait le long de sa colonne vertébrale à mesure qu'elle avançait vers ce bar où ils s'étaient retrouvés trois ans auparavant. Luna ne savait toujours pas ce qui avait poussé ses pas jusqu'ici, comme mue par une force divine. La jeune bibliothécaire croyait au destin ; particulièrement quand cela touchait à l'amour.

Luna y croyait. Dur comme fer, comme aux fées. Deux êtres créés à partir d'une même source pour ne faire qu'un ; deux âmes égarées sui retrouvent le chemin dans les yeux de l'autre.

C'était ainsi. Luna était une éternelle romantique, droguée aux histoires d'amour plus enivrantes les unes que les autres ; celles qu'elle n'avait jamais connues que dans les pages de ses romans, ou dans les films à l'eau de rose.

Enfin, elle arriva sur le cours Saleya, bondé à cette heure-ci entre les amis et les amants qui se massaient vers l'entrée des restaurants et les bandes de jeunes qui se dirigeaient vers les bars, pressés de profiter de leurs vacances. Le marché avait été démonté quelques heures plus tôt dans l'après-midi, libérant de la place pour circuler. Mais Luna n'avait pas besoin de longer tout le cours. L'endroit pour lequel elle s'était déplacée malgré elle lui faisait face.

L'enseigne du bar était ornée de son nom, Les 3 Diables, dont les lettres s'étalaient sur la façade du bâtiment aux couleurs ocres, juste au-dessus d'une fenêtre aux volets verts, et qui offrait une vue sur un étage animé par une musique de fête et des lumières multicolores, dans lesquelles les jeunes filles et les jeunes hommes se déhanchaient.

Plus bas, au rez-de-chaussée, des tables étaient installées en extérieur et en intérieur, parmi lesquelles les serveurs déambulaient prestement ; malgré le début de soirée, le bar était déjà plein de monde. C'était un des lieux les plus fréquentés de la ville.

Luna admira l'édifice quelques secondes, rêveuse, laissant ses yeux couler de tables en tables, s'arrêtant sur les regards et les visages. Non, définitivement, aucun n'avait la même expression, ni l'intensité des prunelles de Maxime quand celui-ci l'avait aperçue, à cet endroit-même, trois ans auparavant. Lors de cette dernière nuit. Il s'était levé, avec ce sourire toujours aussi troublant et terriblement sexy, qui faisait fondre n'importe quelle femme. Lune en avait rougi, tant le charme qu'il exerçait sur elle était puissant, surnaturel.

« Te retrouver pour une nuit endiablée ».

Elle avait besoin de se souvenir, elle aussi, de l'émotion, des larmes qui lui étaient presque montées aux yeux lorsqu'il s'était dirigé vers elle. Besoin de se souvenir combien l'amour qu'elle avait eu pour Maxime avait été dévastateur et passionnel.

Son corps se tendit instinctivement, et Luna sut ce que son cœur avait déjà compris. Pourquoi elle était ici.

- Merci d'être venue, lui souffle un murmure délicieux à l'oreille.

Cette voix, mon dieu. Cette voix tant aimée.

Une Dernière Nuit.Where stories live. Discover now