II. Une surprise bouleversante.

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- Luna, tu m'écoutes ?

- Oui, maman... répondit la jeune femme d'un air distrait.

Comme tous les jeudis, la mère de Luna lui rendait visite dans son appartement en plein cœur de Nice, sur la place Garibaldi. En vraie mère poule, inquiète, elle avait toujours le souci de revenir avec des victuailles, persuadée que sa fille ne se nourrissait pas assez, la trouvant trop chétive. Au bout de trois ans, avec ce train-train hebdomadaire, Luna avait appris à garder pour elle ses remontrances. Le métier de bibliothécaire n'était pas si mal payé que tout le monde semblait le croire...

Elles étaient attablées à la petite terrasse de son appartement, offrant une superbe vue sur la place entourée des bâtiments larges et bas aux murs jaune soleil, et aux dalles bicolores. Dans l'euphorie qui avait suivi la victoire, quelques supporters continuaient de crier et de s'interpeller chaleureusement. Certains brandissaient même le drapeau tricolore en signe de victoire.

Tandis que sa mère fumait, tout en lui parlant distraitement des dernières frasques de la jeune sœur de Luna, Viviane, l'esprit de la jeune femme s'égarait en songeant à cette nuit et aux paroles de Maxime.

« Je n'osais même pas l'espérer ».

Et cette étincelle qu'il avait dans le regard... la même que trois ans auparavant. Inoubliable, peut-être légèrement plus intense. Il avait échangé quelques mots avec elle, la complimentant sur sa robe et sur sa nouvelle carrière, avant de lui laisser son numéro de téléphone sur un bout de papier.

Puis il avait filé sans rien ajouter de plus. Plus de nouvelles de lui, pas même sur Facebook. La rencontre était probablement anodine, mais Luna ne pouvait s'empêcher d'y repenser, et d'y voir un signe ; il réapparaissait juste au moment où tout était fini avec Clément.

C'était à ce moment-là que sa mère avait interrompu le fil de ses pensées.

- Luna ? Tu m'écoutes ?

- Oui, maman...

- Ne me mens pas. C'est à cause de Clément, n'est-ce pas ?

Sautant sur la perche toute tendue, Luna acquiesça, avec peut-être un peu trop de conviction. Elle porta le verre de limonade devant elle à sa bouche, tandis que sa mère s'emportait :

- Ce petit crétin ! Il ne vaut même pas la peine que tu demandes des explications. Après trois ans...

- Oui, maman. Je sais.

Entendre parler de cette trahison lui serrait le cœur. Louise n'avait pas cessé de la harceler, depuis deux jours, pour qu'elle vienne à la soirée, cette nuit, ne s'étonnant même pas de sa fuite durant la célébration du but. Agacée d'être ainsi prise à parti par sa meilleure amie, Luna avait fini par éteindre le portable. Cependant, une part de son esprit ne pouvait s'empêcher d'y songer avec tristesse.

De repenser à Clément avait réussi à chasser Maxime de ses pensées.

Sur les coups de dix-neuf heures, la mère de Luna décida de prendre congé, laissant sa fille savourer ses instants de solitude. En vacances depuis quelques jours seulement, la jeune femme allait enfin pouvoir prendre un peu de temps pour elle afin de lire les trois romans qu'elle avait déniché à la librairie Jean Jaurès, à dix minutes à pied de chez elle.

Depuis toute petite, Luna adorait sa ville. L'ambiance chaleureuse et bon enfant, le soleil, le caractère bien trempé de ses habitants, et la vue magnifique de l'on avait du sommet du Château sur la Promenade des Anglais... Cela n'avait pas de prix. Aucun endroit au monde n'était capable de lui apporter autant de paix et de calme.

Sauf les bras de Clément.

Et le regard de Maxime.

« Allez-vous-en ! »

Se secouant la tête dans l'espoir d'enfin les oublier, elle fila sous sa douche, assommée par la chaleur éreintante de ce mois de Juillet. L'eau froide délia un ses muscles, tendus depuis sa rencontre avec Maxime. Pourquoi est-il rentré ? Et surtout, pourquoi ces paroles ? Les questions tournoyaient autour d'elle. Aucune importance. Cela voulait sûrement dire qu'il n'avait pas l'intention de la voir.

En sortant de la salle de bain, habillée d'une légère robe de maison pour plus de confort, elle jeta un dernier regard vers la vue depuis sa fenêtre. Le bar où Clément et elle s'étaient rencontrés pour la toute première fois était pile en face. Quel crève-cœur de le voir tous les jours depuis trois semaines sans être sans lui...

Un léger coup fut frappé à la porte de bois. Pestant discrètement contre son voisin geignard, qui toquait tous les jours à cette heure-ci, elle lui ouvrit en arborant un grand sourire, tentant tant bien que mal de garder son sang-froid.

- Monsieur Menier, comment allez-vous, ce soir ? Vous ne fêtez pas la victoire avec Mireille ?

- Célébrer un sport de barbares, la belle affaire ! Tout irait beaucoup mieux si les jeunes comme vous travaillaient !

- Je suis bibliothécaire, Monsieur...

- Une fainéante, voilà ce que vous êtes ! Ah, de mon temps... on travaillait douze heures par jour et on ne se plaignait pas !

Se mordant très fort la langue pour ne pas lui répondre vertement, Luna se remit à sourire.

- En quoi puis-je vous être utile ? demanda-t-elle avec toute l'amabilité dont elle était capable.

- Dites à votre crétin de fiancé de ne plus laisser de détritus au pied de votre porte, ça emmerde tout le monde ! répliqua-t-il sèchement en lui balançant une lourde enveloppe dans les bras, avant de claquer la porte de chez lui, juste en face.

Estomaquée par sa virulente crise, Luna n'eut cependant pas le loisir d'envoyer promener le vieux crouton. L'écriture sur l'enveloppe n'était pas celle de Clément, brouillonne, qu'elle connaissait par cœur.

C'était une autre, qu'elle n'avait pas vue depuis trois ans.

Le cœur battant à tout rompre, elle rentra dans son appartement, les yeux rivés sur la lettre qu'elle tenait dans ses mains tremblantes. Son esprit n'osait même pas formuler son prénom, de peur de rompre le charme.

Sous l'effet de la surprise et de l'angoisse, la jeune femme posa précipitamment la lettre sur la table, comme si celle-ci contenait une bombe. Hésitante, sa décision fut de l'ignorer et d'entamer son repas sous les interjections des Niçois, en bas sur Garibaldi. Pourtant, au bout de cinq minutes, ne parvenant pas à manger grand-chose, elle se rua sur la lettre et l'ouvrit sans perdre une seconde.

L'émotion prenait l'assaut de son cœur à chaque mot que ses yeux dévoraient.

« Ma tendre petite Luna,

Mille quatre-vingt-seize. C'est le nombre de lettres que je t'ai écrites, depuis trois ans, une par jour, et celle-ci est la dernière.

Trois années entières à t'écrire, depuis ce 12 Juillet 2015, et à regretter de ne pas avoir su te dire tous ces mots en face.

Je t'écris des centaines de lettres que tu ne recevras jamais. Comme un souvenir de toi à l'autre bout de la planète, j'écris pour me rappeler combien tu es belle sous la lune et la voûte étoilée, et pour me souvenir de tous ces sourires enivrants que je n'ai jamais pu retrouver ailleurs.

Et cette soirée. Cette dernière nuit que nous avons partagée. Je veux ressentir encore ce bonheur t'avoir dans mes bras.

Te retrouver pour une nuit endiablée.

Maxime. »



Une Dernière Nuit.Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ