VIII. Une danse nostalgique.

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- Viens ! lui intima Maxime en se levant, ne lui laissant pas le temps de s'attarder un peu plus sur ses pensées.

Sans pouvoir protester, Luna fit attirée vers lui par la force de son poignet, qu'il avait attrapé au vol. Ensemble, ils montèrent les escaliers et rejoignirent la Promenade qui longeait la mer sur des kilomètres. Maxime semblait confiant, mais le trouble de Luna lui fit lâcher sa main.

Elle était rattrapée par ses souvenirs. Avait la sensation de tromper Clément, alors qu'ils n'étaient même plus ensemble.

Ils marchèrent côte à côte, durant un long moment, en silence. Luna n'avait même plus envie de la briser ; un sentiment dérangeant venait de s'installer au creux de son ventre, et ce n'était pas le stress, la peur habituelle qu'elle ressentait lorsqu'elle sentait la présence de Maxime. Ce n'était en rien comparable a ce qu'elle avait ressenti, plus jeune.

Ce n'était pas non plus le réconfort et la paix que lui procuraient les bras de Clément, son regard, ses paroles, ses rires.

Non, plutôt une sorte de désillusion. Luna avait mal au cœur, et si Maxime y avait planté un couteau pour le lui arracher avant de le broyer à une main, cela n'aurait pas été plus douloureux.

L'incompréhension la gagnait. Des lettres à n'en plus finir, des années à savoir ce qu'elle-même refusait de s'avouer, et pourtant, la peur l'empêchait d'esquisser le moindre geste vers elle.

Qu'est-ce qui avait changé, en trois ans ? Comment avait-il pu passer d'un stade où il jugeait ne pas la connaître suffisamment à celui où il lui faisait des avances aussi romantiques ?

Et elle ? Que savait-elle de lui, sinon qu'il était son obsession depuis l'adolescence ?

***

Luna, envahie par le doute, avait cessé de marcher. Maxime, ne sentant plus sa présence depuis quelques mètres, s'arrêta et se retourna, les sourcils froncés. Qu'avait-elle ?

Luna était une énigme pour lui. Depuis la seconde, cette étrange jeune fille l'avait constamment intrigué, mais jamais il n'avait ressenti le besoin de lui parler, de la connaître, pendant six ans. Même cette dernière soirée avant son départ à Bali n'avait été que le fruit du hasard, mais ce souvenir l'avait longtemps hanté. C'était peut-être plus pour résoudre ce mystère que pour se rappeler d'une femme qu'il n'avait pas connu qu'il lui avait écrit tant de lettres.

Lorsqu'Iris l'avait quitté, après avoir découvert sa correspondance secrète, Maxime avait été incapable de ressentir de la peine. C'était son problème depuis longtemps, une peur qui l'effrayait de toutes les fibres de son être : son incapacité de ressentir quoi que ce soit. Il avait connu des femmes, mais rien de fort, qui le transcende. Maxime se laissait porter, avec la sensation d'être abattu et blasé à longueur de temps.

Il savait qu'elle était amoureuse de lui, et l'amour qu'elle lui avait porté avait simplement gonflé son égo, mais avec le temps, cela l'avait rattrapé. Et si Luna était sa seule chance de ressentir enfin une émotion authentique ? Même s'il ne savait rien d'elle, la jeune femme était devenue à son tour une obsession. C'était pour cela, les lettres. Pas par amour, par peur.

Maxime aurait suffisamment le temps de la connaître une fois qu'il aurait fait renaître la flamme de Luna.

***

Luna ne comprenait pas pourquoi Maxime avait peur. S'il savait. Pourquoi prolonger son séjour à Bali ? S'il était revenu à la date voulu, tout aurait pu être différent.

Mais s'il était revenu, Luna n'aurait jamais connu Clément, et rien que de l'imaginer, la douleur était immense. Luna avait survécu à une vie sans Maxime, mais elle doutait de pouvoir supporter l'absence de Clément.

Il était son ancre dans la tempête, quand Maxime avait été la vague tumultueuse qui précède le naufrage.

La jeune femme s'était arrêtée en plein milieu de la route sans en avoir conscience. Ce fut une musique de jazz, joué par un trompettiste à deux mètres d'elle, qui la ramena à la réalité. Le son de la musique était d'une beauté et d'une nostalgie à couper le souffle, et bientôt, les petites décharges électriques d'un frisson délicieux lui parcourut le corps.

"It's Always You", de Chet Baker ; Luna en reconnaissait les accents, les moindres tonalités. C'était sur cette musique que Clément l'avait invité à danser pour la première fois ; sur cette musique qu'ils avaient échangés leur premier baiser, alors que la mélodie restait en suspens. Le temps s'était arrêté à son tour.

Et avec Maxime aussi, elle y avait dansé, mais le souvenir était occulte.

Ce dernier s'approcha d'elle, et effleura sa joue du bout des doigts.

- Luna ? Il y a un problème ?

- Non... souffla-t-elle.

C'était un mensonge. Son corps criait le prénom de Clément. Maxime entendit à son tour la musique qui montait autour de lui, et lança un coup d'œil au trompettiste, avant de la contempler intensément. Sa main glissa doucement jusqu'à sa taille.

- Tu danses ?

Luna approuva d'un signe de tête, et Maxime l'attira contre son torse. Le parfum marin du jeune homme la submergea, une fois de plus, et l'emmenait en voyage, alors que l'âme de Luna avait trouvé refuge dans des lieux loin de l'aventure, dans des souvenirs qui lui réchauffait le cœur ; les moments partagés avec Clément.

Ils se mirent en danser lentement, se déplaçant d'un pied sur l'autre, et Maxime se plut à découvrir le dos de Luna du bout des doigts. Loin de frissonner, elle ne ressentait rien. Elle enfouit sa tête dans son cou, luttant contre les larmes et de dégoût qu'elle avait contre elle-même.

Combien de fois n'en avait-elle pas rêvé, adolescente, d'être tout contre son cœur, de se fondre en lui et de ne faire plus qu'un. Six longues années à penser à Maxime, à être amoureuse - ou penser l'être. Et maintenant, le moindre de ses touchers la tendait de tout son long.

Parce que cela n'avait rien à voir avec la fermeté des caresses de Clément.

Pourquoi ? Luna avait toujours songé que l'amour était le voyage, la passion, le transport. Frissonner, avoir peur, le romantisme à l'état pur. Pour Luna, l'amour était irraisonné. N'avait pas de mesure, existait sans concessions. Tout ce que les yeux de Maxime promettaient. Pourtant, il n'avait jamais cherché à être avec elle.

Et si Luna s'était trompée ? Et si le véritable amour n'était pas l'aventure et l'inconnu, mais celui dans lequel on trouvait un foyer dans le regard de l'être aimé ?

Pour la première fois depuis le début de la soirée, Luna eut le sentiment qu'elle était dans les bras d'un parfait étranger. Il ne l'avait jamais complété. Clément non plus. Et ce n'était pas cela, l'amour, deux êtres qui se complètent ; c'était deux êtres qui s'aimaient pour les différences qu'il y avait entre eux.

La musique entamait ses dernières notes. Maxime releva doucement la tête de Luna, et plongea ses yeux dans les siens, avant de se pencher lentement vers elle.

Leurs lèvres se rencontrèrent, et leur baiser scella l'union langoureuse de leurs corps porté par la danse. Les mains de Maxime s'égarèrent sur sa nuque.

Une Dernière Nuit.Where stories live. Discover now