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Nous habitions désormais, moi et mon père, dans la capitale bretonne sur des fondations plus solides que jamais. Il n'était plus question de déménager dans une autre région, mais je fus néanmoins contraint de scotcher à nouveau des cartons pour y entasser mes affaires personnelles. Heureusement, je ne partis pas bien loin.

Les aiguilles des horloges avaient soudainement accéléré leurs rotations pour mieux se figer dès l'ouverture de cette lourde porte protectrice de mon nouveau foyer. Mais celui-ci avait la particularité d'être mon premier logement en tant qu'adulte indépendant. Au franchissement du seuil allait donc débuter une quatrième vie, au sein de ce studio rennais dont mon père réglait généreusement le loyer chaque mois, impatient de me voir autonome selon le discours officiel, mais souhaitant plus probablement avoir la paix dans sa retraite bien méritée. Il m'avait confié le lourd sac des responsabilités qu'il ne fallait pas prendre à la légère. Celui-ci rendait compte de la réalité trop souvent cachée par nos parents comme on cache des vérités dures à entendre, mais il faisait mentalement grandir et c'était non sans une fierté certaine que j'en héritais, convaincu d'être à la hauteur.

Je venais de tendre aux secrétaires les dernières feuilles scellant mon inscription à l'université. Rangées entre autres photocopies, bien au chaud à l'intérieur d'un dossier fortement fourni en documents administratifs, elles représentaient ce qui se faisait de plus inutile. Il n'était jamais trop prudent, devait-on penser dans les couloirs interminables et ennuyeux des administrations, d'obliger les étudiants à préciser trois fois leur date de naissance sur trois documents différents mais au combien similaires, de peur d'y perdre une information cruciale au cœur d'un mécanisme lent et rouillé.

En me désencombrant de mes affaires personnelles au sein de mon premier cocon, je pris conscience que je vivais à cet instant les préludes d'une longue histoire. Bien sûr, tout était à construire, mais rester à Rennes devint une priorité : la stabilité avant tout.

Cela était facile à dire lorsque je m'accoudai à ma table de cuisine bancale, couinant déjà sa crainte de maltraitance. Elle était petite et noire, facilement pliable et en plastique, légère comme une plume et accolée à mon bureau plus imposant, en imitation bois (on ne pouvait se tromper sur la matière), mon véritable atelier de travail. Inconfortablement assis, je vins essayer ma chaise de bureau en cuir, noire aussi, couleur par défaut des fabricants ne laissant guère de choix, et je me sentis comme un chef d'entreprise prêt à en découdre avec les affaires.
En examinant brièvement la pièce d'un tour sur moi-même, il m'était difficile de délimiter mentalement chaque partie du studio compte-tenu de sa petitesse. La cuisine, fonctionnelle mais à l'espace très restreint, semblait s'arrêter au changement de surface, qui passait d'un lino dépassé et abîmé aux motifs octogonaux hideux, à un lino plus acceptable mais mal posé, d'un beige neutre aux teintes différentes, usé par le temps et couinant par endroits. Au fond de mon très petit studio se logeait parfaitement mon lit d'occasion dans un coin poussiéreux, à un bras tendu de ma seule fenêtre, dont les longs rideaux bleus et jaunes venaient caresser le traversin coincé entre le matelas et le mur. Au pied du lit pendouillaient les fils et câbles reliés entre la télévision, l'ordinateur portable et les consoles de jeux, étroitement logés sur une table basse noire, elle aussi, et donnait sur un petit canapé au tissu couleur raisin, neuf et confortable, mais trop rapidement troué par mon imprudence. Mon dressing se résumait à un vieux meuble recyclé, tout en hauteur et trop bancal pour y supporter des poids lourds, mais bien assez robuste pour mes quelques vêtements. Les murs en crépi, blancs presque immaculés, tendant doucement vers le jaune, se prolongeaient en hauteur, me procurant une agréable sensation de grandeur. La salle de bain, seconde et dernière pièce, se révélait plus classique, ornée d'un carrelage couleur argile autour de la baignoire et du lavabo, réchauffant l'âme à défaut du corps.

Mes volets verts commençaient à cogner contre le mur, la faute à une attache défaillante. Les plier en trois comme on le faisait autrefois m'enchantait bêtement. La fenêtre orientée plein Est m'offrait alors un brillant soleil, qui jouait son rôle de réveil naturel et qui m'aspergeait violemment de sa lumière matinale en ces premiers jours de septembre. Un chemin en gravier passait à mes pieds et reliait la rue principale au parking privé de la résidence. J'appris plus tard, et à mes dépens, l'intense fréquentation de ce chemin croustillant sous les pas, voie appréciée des étudiants louant les logements voisins, à chaque heure du jour et de la nuit, dans une plus ou moins grande mesure de discrétion. Je réalisais dans le même temps l'utilité de cet étonnant bâtiment érigé face à ma fenêtre, en y apercevant un corbillard manœuvrer en marche arrière. Il fallait faire preuve de bon sens pour installer une chambre funéraire à moins de vingt mètres de l'un des plus grands cimetières de la ville. Si la proximité avec les morts en avait effrayé plus d'un lors de leur visite, elle m'amusait et ne me dérangeait pas le moins du monde. Cependant, la présence systématique de la famille du défunt, réunie à la sortie du parking, ôtait systématiquement mon sourire. Tous vêtus de vêtements sombres, essuyant leurs larmes, ils me forçaient à prendre une attitude plus effacée, au diapason de leur malheur.

Mon diplôme du baccalauréat était affiché au-dessus de mon bureau. Le papier jaune impeccable aux contours blancs et signé par le recteur de mon académie scellait définitivement mes aventures lycéennes dans la boîte à souvenirs et il représentait ma clef d'entrée dans les études supérieures de mon choix. J'avais, à mon goût, ingurgité trop de cours pénibles et encore retenu trop d'informations pour les épreuves écrites finales, échelonnées sur une semaine entière, usant de mes stylos les feuilles de brouillon aux couleurs flashies (sans doute dans le but d'éviter la fraude) et mon poignet gauche, torturé et plié dans tous les sens. Si une mention ne m'était aucunement envisageable, pas même la plus accessible, je contins intérieurement ma joie dès la vision de mon nom dans l'impressionnante liste des candidats reçus, à l'inverse des réactions hystériques des autres lauréats. Seul le fort soulagement d'en terminer avec cette épreuve me vint ; détenir ce sésame tant vanté par mes professeurs et mes proches marquait une importante étape dans la vie d'une jeune personne, mais cela me parut être toutefois un simple obstacle à franchir parmi de nombreux autres. Le détail de mes notes fit néanmoins sortir mes yeux de leurs orbites et me procura une sueur froide : les résultats flirtaient avec la limite acceptable. Un cinglant huit sur vingt en sciences économiques et sociales, dont le coefficient s'élevait à neuf, aurait définitivement pu me noyer malgré des belles tartines d'analyses sans doute mal étalées sur le papier. Les dix-huit points envolés se virent comblés par les vingt-deux d'avance.

A la réception de mon diplôme, je ne me lassais pas de relire son intitulé et mon nom, comme pour mieux réaliser le palier franchi.


Bizarrement, je repensais souvent à Candide lors de toute mon année de Terminale, comme si je ressentais inconsciemment que j'avais raté quelque chose. L'histoire m'intéressa par son absurdité et ses analyses comiques, tout en subissant les taquineries de mes camarades lors des apparitions de Martin, philosophe opposé à Pangloss. Mais en me remémorant, un jour, les mots de Candide, « il faut cultiver son jardin », je compris brusquement leur sens figuré. Ma première impression était d'imaginer le héros et ses acolytes armés de pelles et de râteaux dans le but de faire pousser des beaux légumes et de s'en nourrir pour l'éternité.... Mais suite à de moult réflexions et une soudaine illumination, le jardin se transforma en un esprit incorporel et les légumes en idées et en opinions. Pourquoi n'y avais-je pas pensé avant ? Je crois que c'était la conclusion de la dernière analyse, que personne n'avait écouté. Il me resta, pour commencer à cultiver mon jardin, à trouver de l'engrais, que je dénichai rapidement.

Mes lectures étaient variées mais j'appréciais en particulier les articles sur les sciences sociales, en continuité de mes cours lycéens. Je me focalisai sur cette discipline vaste en me plongeant dans la sociologie, puis dans un second temps dans la psychologie, alors que je naviguais dans l'épais brouillard de mon amitié avec Max et de mes pensées nostalgiques de Léa. Les articles nourrissaient un appétit devenu féroce que je n'arrivais pas à combler.

La psychologie me donna donc la réponse sur le cas de Max : le pauvre fut victime du syndrome de Stockholm... Je le voyais bien otage de Mélissa, comme bêtement tombé amoureux de sa ravisseuse.

Ma curiosité diminua sans cesse mes heures de sommeil, à mesure que j'explorais durant des heures incalculables des pages et des pages vulgarisées, surfant sur cette large palette proposée par cet ensemble de disciplines fascinantes. Mes découvertes m'entraînèrent dans la psychanalyse, aussi passionnante que complexe et elle me fit découvrir les géniaux Carl Gustav Jung et Sigmund Freud.

Étudier la psychologie me donna la possibilité de mieux me connaître et de mieux agir en conséquence sur mon propre comportement, en particulier au contact des femmes, dans l'idée de ne plus reproduire les mêmes erreurs et de comprendre leurs signaux. Percer les mystères de l'être humain revient, sur le long terme, à mieux comprendre les autres et soi-même, et par cela la vie en elle-même. Observer les comportements d'individus ou de groupes m'excitait et je me faisais guider dans cette quête du savoir par d'autres références de la sociologie, aux noms d'Erving Goffman et Pierre Bourdieu, que je trouvais passionnants à lire.

Dans un constant esprit d'analyse, je m'entraînais à décomposer mes instants passés au lycée tout en me penchant sur les cas individuels qui m'entouraient, me servant de mes premières notions apprises sur le tas. La licence de Psychologie proposée par l'université de Rennes fut donc un choix naturel et ma motivation grimpa en flèche à l'approche de la rentrée, comme remonté comme un coucou prêt à tout donner. Je pris cependant conscience qu'il fut idiot de ne pas sympathiser davantage avec mes camarades bacheliers qui se retrouvaient, pour un tiers d'entre eux, dans la même faculté mais dans des filières différentes. Peu importe, me dis-je, ces trois futures années me donneront le temps pour faire d'autres rencontres.

Au cœur de ce campus rennais, pour notre premier jour, nous aperçûmes en un coup d'œil les grands symboles peints sur les vitres qui se traduisaient en lettres entourées d'un carré ou rond de couleur. Nous saisissant de nos plans remis à l'inscription, nous nous repérâmes dans ce dédale de chemins cernés par des bâtiments à la fois étirés sur la longueur ou la hauteur, de formes classiques rectangulaires ou s'orientant vers des architectures plus originales. Les « Première année », comme nous fûmes affectueusement nommés, rentrèrent quelques jours avant les autres. Nous eûmes le temps de nous acclimater à notre nouvel environnement sans subir la foule grouillante des milliers d'étudiants présents sur le campus chaque jour.
Un discours inutile et beuglé tant bien que mal par l'un des responsables du campus (personne ne savait qui il était vraiment, ni quelle fonction il occupait), debout sur une chaise en plein milieu d'un hall, nous laissa deviner l'atmosphère que serait notre nouveau théâtre. La mauvaise organisation ne nous fut pas d'une grande utilité pour prendre nos repères et nous dûmes rester alertes. J'étais toujours en relation avec les autres afin de mieux regrouper les informations obtenues et mieux m'organiser dans un capharnaüm qui n'impressionnait plus les anciens. Après tout, cette désorganisation des premiers jours était peut-être voulue par l'administration pour nous permettre de tisser des liens... Non. Peut-être pas, finalement...
Les jours passèrent et la vie sur le campus se voyait progressivement d'un œil différent. Bonne humeur sur les visages, rythme lent dans les escaliers pouvant aller à la nonchalance et la sieste dans la bibliothèque, de cette apparence décontractée n'en résultait pas moins la volonté d'apprendre et d'accroître sa culture au contact des autres étudiants.

On aimait son professeur comme on aimait écouter un ami cultivé autour d'un verre, pendu à ses paroles tel un prophète. Si la liberté procurée par le fonctionnement universitaire poussait les étudiants les plus feignants à rester chez eux, oisifs dans leurs activités universitaires et inconscients de leur avenir, elle en poussait d'autres à constamment revoir leurs méthodes de pensée et d'apprentissage. L'université fonctionnait telle une sélectionneuse naturelle des éléments productifs de la société, et le regard extérieur porté sur ce microcosme pouvait être négatif : on s'indignait de voir une jeunesse feignante et inefficace... Mais certains, heureusement, balayaient les préjugés et constataient une envie pugnace des étudiants concernés par les problèmes contemporains, dans la volonté d'y faire émerger des idées meilleures pour tous et une meilleure connaissance des problèmes. Des étudiants prenaient même des positions politiques bien déterminées et ancrées dans leur sang familial. Ce qui était sûr, c'était que cette université fonctionnait paradoxalement mais que chacun y trouvait son compte, permettant aux dizaines de milliers d'étudiants de vivre en harmonie.

Je ne remarquais pas encore cette face cachée lors de mes premiers jours. Je me contentais de suivre doucement le rythme, peu fatigué par mon emploi du temps mal équilibré dans la semaine mais qui me permettait de sortir de la pénible routine du lycée. J'avais besoin de plusieurs semaines d'adaptation sur mon nouveau terrain de jeu pour assimiler les différents détails. Pendant ce temps-là, plus les cours avançaient et plus ils devenaient confus. Les notions découvertes dans mon cursus spécialisé semblaient si théoriques que je me demandais si elles avaient un véritable sens et s'il y existait des exemples concrets. Peut-être que le professeur sortait simplement un charabia pour impressionner ses étudiants ou se rendre compte de leur assiduité en y déclenchant une vague de curiosité... Non. Peut-être pas, finalement...
Cela me fit réfléchir sur mes méthodes d'apprentissage un bon matin, marchant en direction de l'université et bercé cette fois-ci par de la musique douce, qui fonctionnait tel un stimulus efficace. Mes notions apprises seul et mes premiers textes travaillés à l'université n'étaient en aucun point similaire, et mes difficultés à comprendre ces longues pages agrafées s'intensifiaient jour après jour. Rien ne semblait changer entre mes années lycéennes et ma première année en études supérieures, malgré mes efforts et mon intérêt dans la psychologie. La seule certitude se trouvait dans mon besoin de temps pour les comprendre et les réutiliser, comme ce fut le cas pour Candide.

L'intitulé de la nouvelle étude m'inquiéta plus encore dès son énonciation. Je ne saisis aucunement son sens. Dans cet immense amphithéâtre vieillissant mais mythique, aux tables en bois marquées par des blagues ou des messages obscènes, nous trouvions toujours notre strapontin idéal, étonnement bien entretenus et confortables mais trop bas comparés aux tables, ce qui obligeait nos corps à se tordre. Plusieurs journaux gratuits, récupérés à la sortie du métro, circulaient entre nous. Les jeux ayant déjà tous été complétés, les derniers à les récupérer se repliaient sur quelques articles moyennement bien écrits et peu intéressants, et lorsque le professeur arrivait sur un passage du cours peu passionnant (c'était souvent le cas), nous prenions nos stylos et gribouillions les photos, les parodions, puis les montrions à nos camarades. Certains dessins continuaient leur chemin sur internet, dans les groupes privés Facebook de l'université, et ils allaient parfois même sur Twitter et Instagram et ils provoquaient une vague de « J'aime » et de « retweets » entre autres commentaires humoristiques.
On comptait à vue d'œil une centaine d'étudiants présents ce jour-là. Bon nombre d'ordinateurs portables illuminaient le fond de l'amphithéâtre et chaque écran présentait à l'étudiant de derrière les passe-temps de leurs propriétaires. Le grand classique restait évidemment les réseaux sociaux et beaucoup s'échangeaient des messages dans le même amphi ou avec d'autres universitaires. Une page de traitement de texte apparaissait discrètement dans la barre de tâches et elle était ouverte quelques fois pour une prise de notes rapide.

Je n'aimais pas emmener mon ordinateur portable. Il me distrayait facilement et le fidèle combo bloc-notes et stylo faisait très bien son travail. Lorsque l'ennui venait à nous submerger, nous autres utilisateurs de ces méthodes préhistoriques pouvions glisser nos smartphones (j'en avais enfin acquis un) sur la table et naviguer paisiblement, sans vérifier derrière notre dos si quelqu'un y jetait des regards indiscrets. Cette pratique était encouragée par les professeurs qui parlaient d'un ton monotone et bas, mais qui pouvaient aussi partir dans des envolées lyriques qu'eux seuls comprenaient, à grand coup de vocabulaire trop tortueux pour l'esprit et inaccessible à quiconque n'avait jamais lu la définition dans un dictionnaire. La grande majorité des étudiants étaient décrochés de la locomotive, et il y avait un sacré effort à faire pour le « maître de conférences », comme leur nom officiel l'indiquait, pour ne pas faire dérailler le wagon définitivement. La connexion avec notre professeur restait difficile et j'en profitai pour interpeller mon voisin, un petit maigre, semble-t-il lassé d'être spectateur de ce spectacle, en me penchant vers lui discrètement.

« Tu peux me montrer tes notes de la semaine dernière pour que je puisse les comparer aux miennes ?
- Non. Je n'étais pas là.
- Et celles prises il y a deux semaines ?
- Oublie, mon gars. Je vais arrêter la psycho. C'est tellement à l'opposé de ce que je m'attendais...
- Moi aussi la difficulté me surprend. Mais il faut s'y intéresser et ne pas abandonner. Si tout le monde se décourage si facilement, il ne restera plus personne et je ne serais pas aidé pour compléter mon cours.
- Tu ne connais pas Jordan ?
- Non. C'est qui ?
- Tu ne connais pas son projet ?
- Non.
- Va voir son lien posté sur le groupe Facebook de la promo.
- Je ne peux pas y accéder maintenant. Mon smartphone n'a plus de batterie.
- Tu vois le gars tout en bas, habillé en noir ?
- A quel endroit ?
- Un peu plus à gauche, là-bas. Le seul qui regarde le professeur.
- Ah, oui d'accord.
- Donc ce mec prend absolument toutes les paroles du professeur en notes.
- Comme on retranscrit une discussion ?
- Oui, si tu veux.
- Et sa retranscription atterrit ensuite sur son site internet.
- C'est ça.
- Mais pourquoi ? Il est payé par l'université ?
- Non. Il ne gagne rien à le faire. Son site n'a même pas de publicité.
- Peut-être qu'il cherche un peu de reconnaissance ou des amis.
- Ce qui est sûr, c'est que tout le monde en profite pour rester à la maison et recopier le plus important des cours en téléchargeant ses fichiers. Donc va voir son site, ce sera plus utile que lire mes trois lignes de note. »

Mon cursus en psychologie me paraissait quand même le plus adapté à mes volontés futures, même si cette bibliographie imposée poussait le curseur de la difficulté au bord de l'extrême.
Le concept global de l'université me plaisait, plus que mon cursus et ce à quoi elle nous formait. On pouvait y voir une forme plus évoluée du lycée, où nous devions toujours changer de bâtiment toutes les deux heures mais où nous pouvions hériter d'emplois du temps allégés certaines semaines. Cette libération des pénibles contraintes nous permettaient de nous adonner à nos loisirs ou malheureusement, pour d'autres, à un travail indispensable pour payer leurs études. Nous avions nos responsabilités mais aussi notre indépendance. Nos professeurs ne nous sautaient plus sur le dos par surprise, ils ne nous faisaient aucune leçon de morale à propos de nos absences ou de nos lacunes. Ils venaient échanger avec leurs étudiants, ils donnaient des cours intelligents et ils nous mettaient sur un même piédestal. Nous n'étions plus divisés en classes mais réunis en une promotion gigantesque, mélange propice aux bonnes rencontres mais qui n'étaient vraiment pas ma principale préoccupation... Je me retrouvais dans le monde que je m'imaginais depuis mon adolescence, un monde où je devenais mon propre héros, libre de toute activité et de toute décision, sans avoir à me soumettre aux autres pour telle ou telle raison.

Sur le chemin du retour, frôlé par un air doux tempéré, mes pensées naviguaient déjà dans ma cuisine à l'heure du repas, où un bon plat mijoté allait m'accompagner lors de ma comparaison de mes notes aux transcriptions de Jordan, le tout présidé par le rythme infernal de la Trance. Je ne pouvais toujours pas croire qu'un seul étudiant fournissait un travail aussi intense et contraignant pour l'intégralité d'une promotion, et ce gratuitement. Il n'y avait là aucun intérêt personnel à fournir des efforts aussi inhumains, si ce n'est se faire remarquer. La bonté de certains hommes était plaisante à voir.

A la nuit tombée, éteignant toute source de lumière, mes yeux fondirent dans mon écran et le film projeté. Exténués par une bonne journée, ils devinrent toujours plus lourds et ils finirent par se clore définitivement dès que je rejoignis péniblement mon lit, à minuit passé.

Etre isolé de tous, même de mon propre père, me plongeait dans des profondes introspections. Tous les matins, mes rêves confus aux images multiples me donnaient des exercices ludiques à faire, en utilisant intelligemment les techniques proposées par L'interprétation des rêves de Freud. Si les résultats obtenus parvenaient à me faire sourire dès mes premiers diagnostics, ils me ramenaient durement à la réalité dès l'instant où je comprenais leur signification globale. Si ces rêves étaient diamétralement opposés, ils se rejoignaient systématiquement sur mes tendres souvenirs de Léa et ils pouvaient aussi se mêler à la douloureuse peine que j'eus engendré chez Fanny.

La passion des sentimentsWhere stories live. Discover now