20

3 0 0
                                    

Mes feuilles chiffonnées existaient toujours. Je les retrouvai au fond d'un tiroir, dans un dossier sans nom, pensant y trouver mes anciens cours lycéens.

Les murs de mon studio affichaient des jeux d'ombres créées par le soleil qui venait se cogner contre les irrégularités de mes volets. Il était déjà quatorze heures passé. Je n'avais pas faim. Je venais de me lever. Mes écrits d'adolescent étaient posés sous mon nez. Je les lus dans des longs soupirs, et puis je me décidai d'attraper un paquet de feuilles vierges et un stylo. Je me mis enfin à réécrire au propre ma petite nouvelle, comme je le promis à Max.

Les premières lignes dessinées sur le fin papier m'emmenèrent hors de ma douleur pour quelques instants éphémères. Je me fis entraîner par le rythme de mon poignet dans la volonté d'en faire un bel ouvrage. Je m'appliquais à bien arrondir les lettres et à écrire droit, tout en me permettant quelques légères modifications dans des phrases. Je changeais leur sens ou y ajoutais des mots en fonction de ce que je recherchais.

En une heure, mon travail prit fin. En profitant toujours du silence qui rebondissait sur les murs, je ressentais vivement cette assurance saisissante que l'on dégage au retour d'un cauchemar prenant, qui se confond tellement à la réalité que notre retour au réel ne nous paraît qu'illusion mais nous réconforte.

Avant de reprendre conscience, Hélène venait d'apparaître devant moi, nerveuse mais déterminée. Je la suivais comme un spectre omniscient et je la sentais livrée à sa propre peur et à ses propres doutes. D'une décision mûrement réfléchie, elle se décidait à m'aborder pour me proposer une balade en ville. Je suivais son évolution psychologique qui débutait au sommet d'une forte conviction puis qui piquait soudainement vers l'appréhension et l'incertitude, pour s'écraser dans l'inquiétude. Elle s'interrogeait sur mes surprenantes absences répétées et elle était frustrée de ne plus pouvoir capter mes petits regards échappés et timides qu'elle aimait recevoir. Elle venait à s'imaginer mon départ ou mon abandon du cursus et elle se demandait si j'étais toujours en bonne santé, ou si elle allait simplement me revoir un jour. Elle aussi n'avait que les réseaux sociaux comme ultime recours et attristée, elle réalisait que les ponts étaient coupés. Et puis sa douleur dépassait la mienne, à la fois physiquement dans les contractions de ses abdominaux électrifiés par la terrible nouvelle et mentalement, balayée par un puissant raz-de-marée d'émotions qui entraînait avec lui les débris de ses remords.

La finalité de vivre est de mourir. Certes. J'avais toute la mesure des conséquences d'un passage à l'acte et je n'en avais pas peur. Très bien. Mais ce rêve eut néanmoins la force d'agir tel un électrochoc. Ces passages extraordinaires me secouèrent par leur puissant réalisme et ils réveillèrent ma conscience. Je compris la place centrale de mon amour porté vers Hélène par mon inconscient, ainsi que le pouvoir de vie ou de mort que la jeune femme possédait à travers l'image que je me créais d'elle. Cette histoire allait trop loin. Beaucoup trop loin. Je devais trouver une solution le plus vite possible. Je ne pouvais pas tomber encore plus bas que je ne l'étais.

Cette nuit fut une incroyable lanceuse d'alerte dont j'eus cruellement besoin pour me remettre les pieds sur terre. Je réalisai après coup que je prenais mes propres désirs pour les réelles pensées d'Hélène.


Ma nouvelle traînait dans un coin de bureau et je repensais encore à Léa dans des bouffées de nostalgie, me demandant bien ce que nous aurions pu devenir si nous n'avions pas été séparés.
L'Alsace me manquait et j'y pensais toujours par épisodes pour me consoler, comme on ressent le besoin de retourner dans les bras de sa mère. Nous étions à quelques jours de l'été, dans un printemps chaud et sec, agréable à la tombée de la nuit. J'ouvris en grand mes volets fermés depuis plusieurs jours et j'inspirai des grandes bouffées de cet air stimulant. Les rayons chauffants me firent sentir en vie. Tout n'était pas perdu.

Je ne devais pas encore succomber aux tentations du suicide. Ce ne devait être qu'une porte de sortie à utiliser en dernier recours. Comme si cette possibilité était la garantie d'être en paix un jour ou l'autre. J'avais encore le temps pour mourir.

La mélancolie continuait de m'étouffer mais je fis l'effort de m'extirper de mon studio pour respirer les couleurs qui me manquaient. Oui, ma décision fut prise à cet instant. Je devais agir sans craindre le résultat. Je devais trouver des réponses à mes questions face à Léa. Puis je devais dévoiler mes sentiments à Hélène. Et si par malheur je ne m'en sortais pas, si par malheur ces femmes balayaient d'un coup mes espoirs et me blessaient, alors je rejoindrais Fanny pour la vie éternelle que je passerais dans ses bras, et ainsi atteindre l'état de plénitude absolue tant espéré.

La passion des sentimentsWhere stories live. Discover now