27 : BRASIER

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ARISTOTE ÉTAIT SUR le seuil de sa porte

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ARISTOTE ÉTAIT SUR le seuil de sa porte. Avec sa posture irréprochable et son regard drapé d'un magnétisme orageux. Avec son crâne surmonté d'un bonnet rouge et sa pomme d'adam transpercé d'un œil d'encre sombre. Avec ses lèvres courbées d'un sourire abscons et son menton creusé d'un pli en croissant de lune. Il était aussi laid qu'il était beau, son charme naturel rompu par les intentions équivoques que laissaient transparaître ses yeux en amande.

— Bonsoir, dit-il.

Rory lui sourit avec toute l'assurance et la placidité de quelqu'un ayant anticipé sa visite, et ce bien qu'il sente au plus profond de ses entrailles la dernière parcelle d'espoir qu'il entretenait se déchirer avec la violence d'une émotion que l'on peut éprouver sans jamais réussir à décrire : une sorte de lancinance abjecte qui vous perfore le cœur et vous projette au-devant d'un sentiment de solitude que vous n'auriez pas imaginé autrement.

— Je m'attendais soit à l'un soit à l'autre, déclara aussitôt Rory sans pour autant s'écarter, prudent.

S'il s'employait à conserver un tel aplomb, c'était parce qu'il savait qu'entrer dans le jeu d'Aristote ne pourrait que lui épargner une interaction plus pénible. Des années auparavant, Samuel lui avait appris à reconnaître les différentes facettes composant la personnalité de Gareth afin qu'il se plie plus facilement aux exigences – parfois inconscientes, ou sous-jacentes – que ces dernières impliquaient.

— Vraiment ? répondit Aris, impassible. 

Rory n'avait compris – et admis – que bien plus tard qu'il n'était pas uniquement question de faiblesse que de se soumettre à ce que les yeux et le paroles de Gareth ou Aristote souhaitaient d'eux, mais aussi et surtout d'intelligence de leur part. Ainsi ils économisaient leur colère. Cette Colère.

— Vraiment.

Celle patiemment attisée, nourrie puis entretenue au fil des jours et des paroles, des actes et sous-entendus.

— Tu veux entrer ? interrogea Rory tout en se doutant pertinemment de la réponse.

Cette Colère qu'ils attendaient d'eux.

— Volontiers, admit Aristote en fermant les poings dans le creux de ses poches.

Celle qu'ils savaient déclencher d'un rictus ou d'une réplique ; Celle qu'ils avaient construit en étudiant minutieusement leurs points faibles. Quels qu'ils soient.

— Il doit me rester des crêpes, précisa Rory d'un ton pensif avant de se décaler pour laisser Aris entrer.

Tout était étudié, calculé. Cependant, cela ne faisait en aucun cas d'Aristote un homme infaillible. Et si tous deux avaient parfaitement conscience du caractère indélébile de l'instant à venir, ils savaient également combien il était prématuré. Pour l'un comme pour l'autre.

— Volontiers, répéta son invité.

Rory le sentait comme jamais auparavant en le soumettant à l'intransigeance de ses yeux bleus : cette précipitation vainement masquée par des gestes lents et une confiance feinte, ses iris métalliques troublés par une effronterie inédite, ses mains planquées qui continuaient de s'agiter sans pour autant s'exprimer hors de leur prison de tissu ; Aristote était pris au dépourvu. Par la décision brusque et impulsive de Samuel, par la situation.

— Comment il va ? eut même le culot de demander Rory une fois la porte close.

Aris inclina la tête et lui adressa un demi-sourire qui découvrit des incisives immaculées.

— Probablement frustré mais en bonne santé, assura-t-il.

Tout était étudié, calculé. Certes.

— Niquel, s'enthousiasma Rory en serrant les dents dans un rictus.

Mais tout était précipité. Trop précipité pour Aristote. Et Samuel lui avait affirmé vouloir mettre fin à tout ça. Il savait que ce mensonge serait le dernier s'il lui arrivait de se défiler, d'aggraver les choses par honte ou par égocentrisme. D'abandonner Rory à l'incertitude et à la solitude une fois encore.

— Installe-toi, je t'en prie.

Alors tout était étudié, tout était calculé. Certes.

Mais précipité.

Et cette précipitation enverrait peut-être au Roi Rouge le salut aux yeux verts qu'il attendait tant et qu'il n'espérait plus.

DARK KINGWhere stories live. Discover now