29/ Son frère

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Bon, autant le dire tout de suite, la situation est étrange. Jamais aucun homme n'a cuisiné pour Irène. Et certainement pas dans sa propre cuisine. Sans parler du comportement de son chat qui montre toute son indéfectible affection aux deux intrus qui sont dans son appartement. Le traître !

Pendant que Conti cuisine, Irène range un peu, nettoie, pare au plus urgent. Au plus visible. Quand la machine à laver est lancée et les déchets rassemblés dans un sac poubelle, elle aperçoit un verre rempli d'une substance orangeâtre qui ne lui dit rien qui vaille, posé sur le comptoir.

Irène porte le verre à son nez et grimace.

— Ça, tu n'en as pas besoin... dit Louisa en attrapant le verre et en buvant une énorme gorgée.

Elle sort de la salle de bain, et bien sûr, elle est redevenue sublime. Même avec une robe froissée et les cheveux lâchés.

— Pas de gueule de bois pour Mlle Manoukian ? s'exclame Conti en découpant un légume indéterminé en très petits dés avant de les jeter dans une poêle où cuisent déjà tout un tas de trucs avec des œufs.

— Elle ne boit pas d'alcool, répond Louisa en continuant à avaler l'horrible mixture que Conti a préparé pendant qu'elle se douchait.

Il utilie des ustensiles qu'Irène ignorait posséder.

— Aucun alcool ? demande étonné Conti.

— Nop. Mademoiselle a un foie de bébé qui vient de naître... la chance.

Irène soupire. Elle a l'impression d'assister à une pièce de théâtre dont elle serait le sujet unique. Du théâtre de boulevard en plus ! Et pas du meilleur.

— Bon, si on parlait d'autre chose que de mon foie...

— Du fait que vous étiez en train de travailler un samedi matin alors qu'hier la situation d'urgence s'est débloquée ? Ou du type que vous étiez sur le point d'embrasser hier dans votre salon ?

Gros blanc. Louisa s'est arrêtée de boire. Elle pose lentement le verre qu'elle tenait. Puis, encore plus lentement, elle fait tourner Irène sur son tabouret pour la mettre face à elle.

— Ne me dis pas que tu as embrassé Giovanni hier soir, dit-elle sérieusement.

— Non ! Non ! Elle ne l'a pas embrassé ! Grâce à moi ! s'exclame Conti qui a compris qu'il lui a évité de faire un truc qui aurait fâché Louisa

Il se pose en sauveur, en plus, maintenant !

— La ferme !

C'est sorti des deux jeunes femmes en même temps. Puis elles se refocalisent l'une sur l'autre.

— Irène Manoukian !

— Ça aurait pu arriver. Oui. Mais c'est lui, aussi ! Il m'a dit qu'Estelle l'a quitté ! Comme ça ! Et toi ! Tu ne m'avais rien dit ! Pourquoi ? J'étais si fatiguée ! J'étais pas prête, et puis...

— Porca miseria, Irène ! Mon cazzo de frère n'est pas pour toi ! C'est le seul qui n'est pas pour toi ! Il va te broyer ton petit cœur de midinette ! Il fait son beau parleur ! Son donneur de leçon ! Mais tu ne le connais pas comme je le connais ! Il est pire que moi ! C'est pour ça qu'Estelle s'est barrée !

Accoudé au comptoir, Conti croque dans une branche de céleri en écoutant attentivement l'échange entre les deux jeunes femmes. Le grand baraqué est donc le frère de Louisa, et il s'appelle Giovanni. Et Irène a un crush pour lui. Sans doute depuis longtemps. D'où le secret de sa séparation avec cette Estelle. Et c'est un cavaleur. Bon à savoir.

— De toute façon, il ne s'est rien passé ! Grâce à lui ! lance Irène en montrant Conti avec ces deux bras tendus vers lui, comme si elle présentait un artiste de cirque pour son numéro.

— Tant mieux ! Ça aurait été un drame ! Un vrai drame, Irène ! Je t'interdis de le voir ! Tu entends !

— Louisa !

— Quoi, Louisa ! Je te laisse tranquille côté mec ! Je te laisse faire foirer régulièrement toutes les relations que tu envisages ! Je ne me m'en mêle pas ! C'est une règle d'or entre nous ! Tu ne me juges pas et je ne t'empêche pas d'avoir le cœur brisé ! Mais là, c'est non ! Cette limite ne peut pas être franchie !

— Et si c'est l'amour de ma vie ! s'exclame Irène.

— Tu crois que si c'était le cas, tu ne t'en serais pas aperçu avant ? Et lui ? On n'est pas dans un film, Irène !

— Là, je suis d'accord, dit Conti en continuant de manger.

— On ne vous a pas demandé votre avis, à vous ! lâche Irène hargneusement.

Conti retourne à son omelette en levant les bras comme s'il se rendait sous la menace.

Fenêtre avec vueWhere stories live. Discover now