Chapitre 1

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  Françoise savait qu’elle allait mourir, son heure était proche, c’était comme ça, elle le sentait. Vieille et veuve, cette grand-mère de 85 ans en avait vu de belles. Cette fin proche ne lui faisait pas peur. Au contraire, en ce beau matin de novembre, sous la brise légère du matin, elle se rendit sur la tombe de son mari. Les fleurs qu’elle avait à la main voulaient tout dire : des roses noires. Certes, elles étaient belle mais sur le petit papier qu’elle avait joint au bouquet, les mots « je t’aime » résonnaient comme les dernières paroles qu’elle prononcerait.

  Son regard plein de tendresse ramenait à son premier baiser, au premier sourire de celui qui mourut avant elle, celle pour qui elle avait renoncé à tout et que dans peu de temps, elle retrouverait. Elle déposa les fleurs et colla ses lèvres sur le marbre glacé de la tombe. Tant d’années étaient passées mais l’amour restait intact ! Ses doigts frôlèrent la photo encadrée qui ornait la tombe. L’air innocent de son mari lui fit verser une larme.

  Elle repris le chemin de sa maison, lançant un dernier regard à ce champ témoignant en faveur de ces anges partis trop tôt. Sur le pavé, les pas de Françoise résonnaient. Son esprit était ailleurs. Elle se revoyait, sautant à cloche pied sur les galets de la rivière en essayant de ne pas tomber dans celle-ci. Ah, ces belles années étaient bien loin mais pourtant, les images étaient tellement nettes… La fleuriste la salua. Elle lui répondit par un sourire.

  Françoise connaissait tout le monde au village. Elle avait d’ailleurs été élue présidente du conseil des personnes âgées. C’était une véritable star dans le village. Les enfants passaient devant sa maison en rentrant de l’école et elle leur distribuait des bonbons, elle était au courant du moindre petit ragot sans avoir à le demander. Chaque soir, à 17h34 précises, son voisin de gauche et celui de droite venaient lui rendre visite. Ce jour là, à 17h35, ils n’étaient pas encore arrivés.

  Françoise était inquiète, depuis 12 ans, ce rendez-vous avait lieu. Seul deux jours dans l’année se dérogeaient à la règle : le jour de noël et celui du nouvel an. Une autre fois, cette soirée n’eut pas lieu pour des raisons beaucoup moins gaies, la mort de son mari. Pourtant, elle avait tenue à ce que l’on perpétue cette tradition que son mari avait mis en place. Enfin, après avoir retourné une bonne dizaine de fois la situation dans tous les sens, on sonna à la porte.

  Elle alla ouvrir. Que ne fut pas sa stupeur quand elle découvrit Mr Briant, son voisin de gauche, en fauteuil roulant ! Les yeux écarquillés, elle restait sur le pas de la porte, muette. Reprenant peu à peu ses esprits, elle lui demanda ce qui lui était arrivé.

« Ma chère Françoise, je me fais vieux à présent et il est vrai que l’équilibre venait à me manquer alors j’ai prié Monsieur Lefèvre, notre chère voisin de droite, de m’emmener acheter cet engin. Je ne le maîtrise pas encore mais il est bien pratique pour un homme mal en point comme moi.

-         Allons, ne dites pas de sottises Mr Briant, vous ne vous portez pas si mal ! »

Elle les fit entrer dans sa demeure.

  Cette maison, appelée « chant des alouettes » était un héritage de longue date. Il s’était transmis depuis 7 générations. Françoise la lèguerait à son tour dans peu de temps. Elle proposa à ses voisins de prendre place sur le vieux canapé à broderies à fleurs en attendant un thé bien chaud. Elle disposa les tasses sur une petite table en bois de chêne. De grandes flammes illuminaient une cheminée de taille impressionnante ; Françoise en était fière ! Elle l’avait entretenue depuis toujours et elle flamboyait malgré ses 10 années passées dans une cave.

  Le regard qu’elle avait à ce moment précis fut sans appel. Des yeux qui imprimaient pour ne pas oublier, qui brillaient de ces larmes que l’on ne pourra jamais plus effacer, des yeux qui imploraient le respect.

   Françoise parla à ses vieux amis comme à son habitude, de tout et de rien. Leur départ fut un électrochoc pour elle. Peut être ne les reverrait-elle plus. En effet, elle avait décidé de faire ce qu’elle avait toujours voulu faire avant de partir, voyager. La vieille dame monta à l’étage ou une valise fini l’attendait. Elle la souleva avec peine et descendit les escaliers, la portant à bout de bras.

  Arrivée dans l’entrée, elle décrocha son manteau du crochet qui le soutenait puis l’enfila. Ses gestes étaient lents et précis. Elle était certaine de vouloir effectuer ce voyage, cependant, elle savait qu’il ne serait pas sans conséquences.

  Françoise se dirigea alors vers sa voiture. Malgré son âge, elle conduisait toujours, avec prudence certes mais elle conduisait. Pour plus de liberté de mouvement, elle avait décidé de ne pas prendre le train ni autre transports. Sa voiture était à son image, entretenue mais ridée malgré les efforts. Elle paraissait avoir souffert mais être au repos à présent.

  Elle monta dans la voiture et s’installa sur le siège du conducteur, la valise dans le coffre. Elle tourna la clef et démarra. Le moteur eu un peu de mal à démarrer. La vieillesse…

La route entamée, elle inséra un CD dans le lecteur. Une valse à trois temps la fit plonger dans ses pensées.

  Elle se remémora ce jour où enlacés, ils avaient danser. Cette musique était restée à jamais dans sa mémoire. Elle était partout avec elle. Dans les moments difficiles, elle l’aidait à remonter la pente. C’était bien plus qu’une musique, comme un ange gardien, sa bonne étoile. Françoise adorait arpenter les longues routes de campagne, longeant les champs accompagnés de moulins.

  Cet endroit respirait la pureté. Là où elle allait, il en était de même…

  Elle se sentait bien, seule, roulant vers sa destinée.

La mort dans l'âmeWhere stories live. Discover now