Chapitre 6

129 9 5
                                    

Françoise roulait depuis plus d'une heure lorsqu'elle vit le panneau : « Torrent de la motte ».

Encore quelques minutes et elle y serait. Françoise se gara sur le bas côté et descendit de la voiture. Elle respira un grand coup. L'air pur de cet endroit lui faisait un bien fou. Elle connaissait ce lieu par cœur et l'aimait plus que n'importe quel autre. En pleine nature, elle se sentait bien. Des arbres d'une taille impressionnante l'envahissaient. Face à elle, le torrent se déchaînait. « Ah ça, on a pu m'en conter des histoires affreuses sur toi mais ça ne m'a jamais empêcher de te rendre visite ! »

En effet, il était décrit comme un monstre dans bon nombre d'histoires et de contes. La légende disait qu'une petite fille de 5 ans avait disparut dans ces flots. Elle était reparut deux ans plus tard, sur l'autre rive, les cheveux sales, les vêtements rapiécés et d'une maigreur sans pareille. Le torrent avait transformé la petite poupée en une affreuse sorcière. Les enfants en avaient peur. On disait aussi que la petite avait fini par s'évaporer après avoir poussé un cri que personne n'osait reproduire.

Françoise n'était pas une enfant qui croyait aux légendes. Au contraire, cela l'attirait plus qu'autre chose. Elle était donc venue plusieurs fois dans cet endroit, y passer des journées entières et parfois même des nuits. Françoise se souvint d'une nuit où elle était venue au bord du torrent, s'était allongée aux côtés de Merlin et avait observé les étoiles. Merlin avait approché sa main de la sienne, lentement, avec douceur.

Françoise avait senti pour la première fois, des papillons lui envahir le ventre. Elle n'avait pas bougé, se laissant aller au rythme des caresse de son ami. Celui-ci observait plus Françoise que le ciel, se disant qu'il n'aurait voulu être avec personne d'autre à cet instant. Ils étaient bien ici. Deux enfants de 12 ans, insouciants et heureux. Ils avaient passé la nuit à observer les étoiles sans parler. Leurs mains dessinaient des traces dans le ciel. Par ici, le trajet de la grande ourse à l'Orion, par là celui du grand chien au lièvre, en passant par la petite ourse.

Ils s'étaient réveillés tête contre tête, un sourire gravé sur le visage et du bonheur dans le cœur. Un sentiment de liberté régnait dans cet endroit. Personne ne pouvait nier l'âme de ce lieu. Il n' était pas qu'un tas de verdure, c'était un être humain. Il respirait, faisant voler les cheveux des petites filles ; il s'énervait, emportant au loin une sandale lancée dans l'eau ; il était une mère et une sœur, réconfortant des enfants solitaires, il était maire et cupidon, rapprochant des êtres.

Le torrent de la motte prenait vie grâce aux enfants et s'éteignait quand venait l'hiver. Françoise y venait au moins une fois chaque mois, elle se l'était promis. En ce jour, elle se demanda si le torrent était content de la revoir. Pour elle, c'était une étape importante et elle était heureuse de revenir s’asseoir au bord de l'eau et de conter à « Monsieur le torrent » ses aventures. C'est ainsi qu'elle lui parla :

« Tu sais, je ne suis jamais réellement partie. J'espère que tu ne m'en veux pas, mon absence a été longue, je le sais, je n'ai pas tenu ma promesse. Mais je pense que tu comprends qu'en grandissant, des changements de vie sont obligatoires J'aurais aimé t'emmener avec moi là-bas. Tu es un refuge et une ressource à la fois. Tu es mon médecin et ma conseillère, tu es mon cœur et ma vie, tu es mon bonheur et mes pleurs. Jamais je ne me suis confiée autant à quelqu'un car oui, tu es quelqu'un. N'en doute pas ! Pour véhiculer autant de choses, je ne peux croire que tu n'es qu'un lieu. Ton silence est le plus précieux des conseils. Je parle devant toi comme devant un livre vierge. Tu sais tout de moi et j'en sais sur toi, beaucoup plus que ce que tu crois. »

Françoise se sentait renaître. S'ouvrir lui avait toujours fait un bien fou et ça faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait fait. Après s'être vidée, Françoise ouvrit son sac et en sorti son déjeuner. Elle s'installa comme au bon vieux temps, assise en tailleur, le sac entre les jambes, une gourde remplie d'eau à la violette à sa droite et au fond du sac, un chou à la crème emballé consciencieusement.

Françoise porta le sandwich à sa bouche et savoura son repas, le regard perdu au loin. En observant le rocher, la seule plate forme entre les deux rives du torrent, Françoise se souvint du jour où elle était passée de l'autre côté. Elle avait entraîné Merlin dans sa folle course à la découverte. Celui-ci ne la quittait plus depuis la fameuse « nuit des étoiles ». Elle avait dit cela à voix haute, comme pour appeler Merlin, lui passer le bonjour, lui indiquer qu'elle ne l'oubliait pas.

Tout deux avaient passé un marché. Il pourrait lui faire un bisous, si il traversait le torrent avec elle. Il avait accepté et ils avaient traversé ensemble. Tout c'était bien passé, cette fois...   

La mort dans l'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant