Besoin de temps. Acte I, scène II.

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Nada. Niette. Ie. Não. Jamais. Je ne pourrais jamais m'y faire. Je ne pouvais pas m'y faire. C'était impossible, tout bonnement et définitivement impossible. Je revenais sur mes paroles, marchais dessus et les piétinais sans vergogne. J'étais catégorique. Je ne pourrais jamais m'y faire. Jamais. Jamais. Jamais.

- Mettez-vous par deux, face à face, clama une voix féminine et d'une rudesse infinie. Dépêchez-vous, je n'ai pas que ça à faire.

Réellement ? N'était-elle pas censée être payée pour ce qu'elle était entrain de faire ? Et son temps n'était pas censé nous être consacré ? La belle brune aux apparences menues et frêles, la même qui brayait ouvertement au centre du gymnase, avait eu l'immense bonté de se présenter à moi avant le début de la séance. Epona. La fameuse dont on me parlait depuis mon arrivée à Dacer. Professeur d'équitation, j'avais aussi découvert qu'elle s'occupait d'endurcir les élèves de l'établissement. Et il ne fallait pas se laisser tromper par son allure chétive et douce. Elle était un véritable tyran.

Lorsque je m'étais engouffrée dans le bâtiment consacré aux activités physiques, escortée par Tamara, j'avais d'abord été soulagée de la voir. Sa gentillesse semblait vouloir transparaître dans son sourire rassurant tandis que sa peau pâle et ses grands yeux brun lui donnaient un côté enfantin. Du moins, c'était ce que m'avait laissé pensée son apparence. Et il ne fallait jamais juger un livre à sa couverture, quoi qu'en pensait Alberto Manguel dans sa définition du lecteur idéal – auteur méconnu mais ayant eu l'immense courage de former une esthétique de la lecture. Je m'étais trompée. Lamentablement.

Cette femme était née pour être une dictatrice. Les ordres fusaient en tout sens tandis qu'elle nous menait d'une main de fer sans gant de velours. Les exercices s'enchaînaient, leurs duretés s'accentuant de minute en minute. Je n'étais pas une grande sportive, mais j'avais eu l'audace de me penser au-dessus de la moyenne. Contrairement à la plus part des élèves de ma classe, je ne rechignais jamais à aller en cours de sport. Preuve ultime, non ? Bon d'accord. Pas tout à fait. Mais c'était mieux que rien. Quoi qu'il en soit, je ne suivais clairement pas le rythme. J'en étais incapable.

Tamara me gratifia d'un sourire en se plaçant devant moi alors que je restai immobile. De toute façon, j'étais incapable de bouger de moi-même. Les mains posées sur mes genoux et penchée en avant, je haletais sans parvenir à récupérer mon souffle. Nous venions de courir pendant plus de trente minutes, à un rythme bien trop soutenu. Face à moi, Tamara semblait, elle, en pleine forme. Aucune goûte de sueur ne venait perler sur sa peau laiteuse. Moi, je dégoulinais. Un soupir m'échappa alors que je me redressai, grimaçante.

- Truc de vampire ? Questionnai-je, mollement.

- Truc de vampire, rit-elle. Nous avons une forme physique supérieur aux autres espèces. Les elfes et loups tentent bien de rivaliser, mais ils n'ont aucune chance.

- Essaye de ne pas me tuer alors, soufflai-je.

- Promis, m'assura-t-elle. Je serai gentille.

- Pas question. Elle a du retard sur les autres, elle doit donc s'entraîner avec plus d'assiduité pour le rattraper. N'aie aucune pitié, c'est comme ça qu'elle progressera.

La voix toute proche d'Epona me fit sursauter. Je ne l'avais aucunement entendue s'approcher. Je croisai ses yeux marron, posés sur moi dans une sévérité glaçante. Je fronçai aussitôt les sourcils. Qu'est-ce que je lui avais fait ? Pourquoi semblait-elle si déterminée à m'en faire baver ? Ma tête ne lui revenait donc pas ?

- Je n'ai pas le niveau. Je vais me faire massacrer, argumentai-je en serrant les poings.

- Tu n'es plus dans un monde où nous allons te couver sans cesse, me rétorqua-t-elle. Si tu ne te sens pas capable de gérer ça, rien ne t'obligeait à venir à ce cours.

Water LilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant