Water Lily

Monstre ou humaine. Un pas vite franchi.

- Je t'entends, murmurai-je faiblement de ma voix enrouée. Saphira, c'est ça ?

- C'est ça, approuva la jeune femme que j'avais rencontrée pour la première fois quelques secondes auparavant. Tu veux bien discuter un moment ?

- Bien sûr.

De toute façon, me laissait-elle réellement le choix en s'étant ainsi adossée à moi ? Ma voix fuyante témoignait donc de cette impossibilité de refus qui me rendait nerveuse. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Pourquoi souhaitait-elle me parler ? Allait-elle m'incendier ? Sa gentillesse initiale voulait me laisser croire le contraire pourtant je ne pouvais oublier où nous nous trouvions. Aucun loup présent dans ce camp ne devait pouvoir me voir en peinture.

Nerveusement, je triturai mon médaillon, hésitant à le porter à mes lèvres. Mes yeux se posèrent sur Maël, tout proche, dans l'espoir d'y trouver un réconfort mais il était profondément assoupi, son torse se soulevant sur un rythme serein et régulier. Je n'allais certainement pas le réveiller pour une simple conversation qui me mettait mal à l'aise.

- Comment vont tes amis ? M'interrogea Saphira, entamant la conversation qu'elle avait quémandée.

- Ils se reposent, assurai-je. Ils étaient épuisés.

- L'ange semblait le plus mal au point.

- Il a été blessé par un loup-garou, expliquai-je. Du poison est entré dans son organisme mais il s'en remettra, il possède un don de guérison.

- C'est une méthode courante, admit Saphira sans surprise. Son don doit être sacrément puissant pour qu'il tienne encore debout. Habituellement, un loup ne rate pas son coup.

- Il est puissant, acquiesçai-je mollement.

- Tu es mal à l'aise, soupira aussitôt Saphira en percevant de plus en plus ma crispation. Je suis vraiment désolée pour Andréa. Je vais enfoncer une porte ouverte mais il n'aime pas beaucoup les marqués, il a eu de mauvaises expériences avec eux.

- J'ai cru le comprendre, avouai-je en soupirant à mon tour. Il me déteste d'exister.

- Il en veut à tous les marqués d'exister, rectifia-t-elle doucement. Sa vie n'a pas été facile. Il a été rejeté très jeune par sa famille quand ils ont compris qu'il était... différent. Et par la suite nombres d'événements l'ont poussé à se montrer dur.

Je réalisai seulement ce qu'impliquait une information que je possédai pourtant depuis longtemps. Les loups-garous étaient les seules créatures pouvant être vus par les humains lambda. Ils pouvaient autant voir leurs transformations que leurs formes animales. Cela signifiait donc que les familles de chacun d'entre eux avaient potentiellement pu les voir se transformer sous leurs yeux, les voir devenir ce qu'ils ne pouvaient considérer autrement que comme un « monstre ». Ma gorge se noua. Ils avaient dû être traités comme des parias par ceux même qui constituaient leurs familles et si cette douleur ne suffisait pas, une nouvelle leur était infligée lorsqu'il comprenait que leur existante était due à un marqué qui serait apte à les traiter comme il le souhaite. Leur vie entière semblait une continuité d'injustice et de souffrance.

- Tu ... ne sembles pas aussi en colère que les autres, soulignai-je, intriguée par le comportement très serein de Saphira.

- J'ai moins souffert que la plupart des loups présents ici, expliqua-t-elle. Ma mère était une humaine mais mon père était, lui aussi, un loup. C'est quelque chose de relativement rare et qui m'a probablement sauvé. Ma vie a été beaucoup plus sereine et j'ai pu grandir presque normalement si on parvient à considérer qu'être une louve est quelque chose de normale.