Éclat de glace

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« There is still a piece of me that can't let go of you. »

Skylar Grey

Le reste du voyage se fit dans le silence. Myriam et Clara avaient le visage fermé. Le rubis sur l'oreille gauche de Myriam n'avait jamais été aussi éclatant.

Elle devait surement penser à leur petit frère, Nickolas. Revoir un des représentants de leur ancienne Nation avait dû les replonger dans le passé, un passé tragique dont elles avaient tout fait pour échapper. Qui plus est, ce n'était pas n'importe quel Rubis que nous avions rencontré, mais le chef des armées en personne, dont l'éclat du poignard en rubis brillait sur son oreille droite. Constantin Saren. À lui seul, il représentait ceux qui avaient assassiné le frère de Myriam et Clara.

Je me demandai alors s'il occupait déjà ce poste lorsque ce terrible incident avait eu lieu. Probablement pas, vu son jeune âge, mais on ne sait jamais. Ici, l'âge ne voulait rien dire. En tout cas, Myriam le connaissait, et inversement. La manière dont il la regardait et dont elle-même fuyait son regard ne laissait aucun doute sur leur relation houleuse. J'aurais voulu savoir, lui demander pourquoi, elle, qui était si forte, baissait les yeux devant cet homme. Mais je n'en fis rien, parce que je savais pertinemment qu'elle ne me répondrait pas.

Elina et Raphaël, quant à eux, semblaient sérieusement préoccupés. Était-ce à cause des avions de chasse Ivoiriens ? Ou bien était-ce en raison de la rencontre avec les dignitaires Diamants et Rubis ? Ou les deux ? Impossible de le savoir, leur regard tourmenté restait résolument fixé devant eux. Mais je voyais bien les fantômes de cette journée planer sur leurs visages tirés.

Quant à moi, j'essayais tant bien que mal d'assimiler tout ce qu'Elina et Raphaël m'avaient expliqué. Je voulais tout retenir, le moindre mot, le moindre nom, je voulais tout savoir de ce monde si différent du mien. Mais je revoyais sans cesse les Diamants, leur beauté glaçante, le regard acier de Markus posé sur moi, ainsi que celui, plus venimeux, de la belle Katharina. Je ne comprenais pas pourquoi ils m'effrayaient tant, ou me fascinaient, j'avais pourtant déjà dû affronter d'autres personnes comme eux dans la Tour : Lys, Melech, mes parents, les quatre Familles...  Étrangement, face à eux, je perdais tous mes moyens, je n'étais plus Era Eléazar, ni Era Malkam, la future reine de la Tour. Je n'étais que Lévana, une simple jeune fille insignifiante dans un monde gouverné par la violence et la rancœur. Les Diamants étaient des monstres aux allures de dieux, voilà ce qu'ils étaient. Des assassins aux visages d'ange. Comme mon frère. Comme Ayaan.

Ayaan... Je reçus comme un violent coup de poing dans le ventre. La nausée menaça de me submerger toute entière.

Non, Era ne pense pas à lui, c'est fini, c'est le passé... Plus jamais. N'y pense pas. C'est fini, fini, fini...

Pourtant, pour la première fois depuis mon arrivée, je ne pus réussir à endiguer le flot de souvenirs. Je revoyais ses doux cheveux blond clair, ses yeux d'un gris limpide, mais ombré par une violence profondément enracinée. Je le revis me sourire après que nous ayons fait l'amour, ses bras puissants m'enserrant avec une tendresse dont je n'aurais jamais cru un Malkam capable. En fait, Ayaan aurait très bien pu passer pour un Diamant et je suis sûr qu'il aimerait l'idée de devenir leur roi.

Malgré moi, les larmes se mirent à couler le long de mes joues. Tristesse ? Colère ? Douleur ? Regret ? Je ne saurais précisément le dire. Avec Ayaan, j'avais cessé d'essayer de comprendre ce que je ressentais. Avant, je ne me posais pas la question, je le haïssais, purement et simplement.

À présent, alors qu'il m'avait donné son cœur, me disant qu'il n'aimera jamais personne d'autre que moi, alors que j'avais entrevu l'Homme sous le monstre, je ne pouvais plus le détester, même si je savais, au fond de moi, que jamais mon cœur ne lui appartiendrait. J'avais, en effet, laissé une partie de moi là-bas, dans la Tour, auprès de lui, lorsque, pelotonnée contre son torse dur et musclé, je l'avais laissée me bercer et me protéger. Mais ce que je lui avais offert ce jour-là, ce précieux présent, jamais plus je ne lui accorderai. Rien d'autre, d'ailleurs. Mais tout ceci ne servait à rien, je ne le reverrai plus de toute façon. Ayaan Malkam faisait définitivement partie de mon passé.

La Tour d'Ivoire - Tome 1 Where stories live. Discover now