K7[03]: L'araignée [II]

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La force de vivre, il ne l'a plus,

Petit à petit, il s'était développé en lui quelque chose de la bête farouche.

Peu à peu, son poison s'était répandu dans toutes les parties de son corps.

Enfin, elle l'habitait, l'araignée.

Elle tisse sa toile, chaque jour, chaque soir, chaque aube, chaque crépuscule, au rythme de la pendule, au rythme des saisons, l'araignée.

Elle corrompt son esprit, torture son corps, envenime ses veines, lacère ses poignets, l'araignée.

Ses cicatrices s'infectaient alors d'un poison mortel et revenaient lui hurler au visage. Sa peau se déchirait à nouveau. Et lentement, il se vidait de son sang, ses tissus apparents, encore chauds.

Ne restait de lui qu'une carcasse fumante dont les cendres, encore ardentes, portaient ses rêves et ses espoirs, déchus.

Il les avait vu agoniser, dans un froid de blizzard, au fil de l'araignée et du temps.

Ce dernier, lui, s'était échappé de ses mains, et l'avait paradoxalement rattrapé : cela se lisait à son visage, son corps entier.

Les yeux petits, les lèvres déchirées, le visage obscurci, déformé.
Son dos courbé à en faire craquer ses os, ses mains tremblantes de fatigue, ses jambes lourdes qui le portaient ; bien que le poids de la mélancolie l'aurait fait déjà tombé à terre depuis longtemps.
Chaque respiration était un étouffement, bien qu'il vécût encore.
Et chaque songe était un cauchemar, bien qu'il sourît encore.

Dans ses songes, d'ailleurs, il restait souvent.
Dans ses crises, il suffoquait de ses peurs.
Dans ses nuits blanches, il vidait son cœur.
De ses passions, ses douleurs, de son sang,
De l'huile de moteur qui faisait fonctionner les engrenages
Des mœurs d'algorithmes bien rythmés
Ordonnés et mesurés, parfaits,
Soucieux que leurs esclaves correspondent à leur image.

Comme les autres.

Comme les autres, maintenant, chaque jour, chaque nuit, chaque aube, chaque crépuscule, il marchait.

Où ? Il ne le savait point.

Il ne s'en souciait plus depuis fort longtemps.

Il se disait qu'il devait bien vivre avec, qu'il ne fallait plus faire comme avant.
Il se disait que ses lamentations ne le servaient point.
Il se disait que ses larmes ne l'abreuvaient point.
Il se disait que ses songes n'étaient que de passage, un point.
Il se disait que ses hurlements n'étaient qu'assourdissants,
Et que personne n'avait envie d'entendre sa clameur,
Ils étaient déjà tous gangrénés par leur tumeur.

Alors tandis que chaque pas le rapprochait de la fatalité,
De la douce et acerbe odeur du venin écoulé, de la lame aiguisée,

Il continuait à vivre.

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Automne 2016

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