K7[09] Ghost

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Aux aurores les rues étaient silencieuses et les lumières des lampadaires agonisaient face à celles du jour. 
Seuls des sirènes lointaines, le vrombissement lointain des voitures venaient briser de temps à autre le calme à peine revenu.
Le séisme de la veille avait secoué les murs, fait trembler les meubles et fissurer les cœurs.
Alors il a fallu se rassembler, reconstruire, et rebâtir le monde le lendemain.

Ce calme à peine revenu, disais-je, était de trop courte durée.
En effet, des décombres, sortaient petit à petit les survivants et il fallait se rassembler.

Alors j'ai senti que toute la plénitude du monde s'était comme envolée et que seul subsistait un grondement sourd et pesant, ainsi que le bruit des murmures et des pleurs. 

J'ai erré comme un fantôme dans les décombres, prenant de temps à autre des mains, des bras, des corps entiers pour réconforter. 
J'ai erré l'esprit confus et vide, sans pouvoir penser.
Chaque dessin, voix, histoire, image mourait à sa naissance dans les limbes abyssales qu'étaient devenu mon esprit.

J'ai longtemps regardé ces morceaux de mémoires en cire, laissés par les victimes, brûler et se consumer, avant de me rendre compte que j'étais hypnotisé par toutes ces voix, ces mots, ces souvenirs qui émanaient de ces derniers et qui résonnaient dans ma tête.

J'ai compris alors qu'en allumant ces bougies, tout le monde voulait rendre éternel leurs souvenirs. Ils voulaient que les flammes fassent vivre les images, les moments du passé qu'ils avaient en eux. Le tout était alors un puzzle complexe, immatériel, mais vivant et réconfortant. Et s'il fallait, plus tard rallumer ces flammes de vie, ces souvenirs, on le ferait, tous les jours, jusqu'à la fin des temps.

Je me souviens aussi de l'incompréhension, de la colère, des doutes, des regrets qui ont mené aux rumeurs morbides ; mais personne, personne n'avait le droit de se nourrir de la Mort et de ses manières. Personne n'avait le droit d'assouvir la soif des charognards.

Enfin, je me souviens d'avoir quitté les lieux sans un mot et sans regret, ne laissant derrière moi aucune trace, rasant les murs. 
Plus jamais je n'y retournerai, dans les décombres. 
Je veux reconstruire, réconforter, sortir vainqueur de la Mort et ne plus jamais mourir et hanter ces lieux. Je ne veux plus jamais souffrir d'Elle et contempler les ruines d'un monde et d'une terre où je fus heureux.

Je veux vivre de ces souvenirs et de chaque délicieux et bucolique instant.

Je veux être vivant et jouir de ce sol précieux avant qu'on ne m'arrache à cette absurde et révoltante existence.


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Janvier 2018
R.I.P.

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