Chapitre 13

2 0 0
                                    

Elle m'obéit, mais je vois Abi arriver aussitôt. C'est pas beaucoup mieux. C'est aussi à cause d'elle si je suis aussi mal. Elle prévoit tout pour jouer avec mes sentiments. « Viens, on va s'assoir »me dit-elle. Je prends sur moi, j'ai l'impression que je vais exploser mais je lui obéis. Elle engage de nouveau la conversation.Tant mieux, je n'ai rien à lui dire. Elle prend ma main, je la retire aussitôt. Ça a dû la mettre en colère, puisqu'elle m'a sorti « Mais pourquoi t'es comme ça ? J'essaie d'arranger les choses et toi tu gâches toujours tout ! Tu voulais embrasser ton crush, je me débrouille pour que ça se fasse et tu ne me remercies même pas, tu veux faire un truc en couple avec elle, je te donne l'opportunité d'organiser ça et tu fous tout en l'air ! T'es jamais contente ! » Outch. J'accuse le coup. Peut-être que je serais plus contente si elle ne me faisait pas de faux espoirs, peut-être que si Alice m'aimait, j'irais mieux, peut-être que si j'allais mieux, je gâcherais moins ma vie. Ça,c'est ce que je pense. Mais ça ne sort pas. Je suis trop nulle.


J'en ai marre. Marre de cette soirée pourrie. Marre de tout. Je n'aurais jamais dû venir. « Fais ce que tu veux, moi, je m'en vais, dis-je sèchement.

-Mais il n'est que minuit !

-Te sens pas obligée de partir, je rentre à pied.

-À cette heure là ?

-J'ai pas envie de rentrer avec toi ok ? Plutôt mourir que de remettre les pieds dans ton tacot pourri. »

Tout le monde nous regarde. Je commence à avoir l'habitude. Je sors et claque la porte. Sans dire au revoir. J'ai oublié ma veste. Obligée de rentrer de nouveau. Je vais la chercher, et cette fois avant de sortir, je crie « Au fait Alice, j'ai déchiré la photo, dans ta chambre. C'est dommage hein, tu ne m'auras pas sur ton tableau de chasse ! J'en ai marre de me faire utiliser ok ? ».


Je repars. J'ai à peine fait quelques pas que je me mets déjà à pleurer. Encore. Je ne vois rien tellement j'ai les yeux floutés par les larmes. La route me paraît plus longue qu'à l'aller. Pourtant je reconnais le paysage, je ne me suis pas trompée de chemin. En voiture c'était tellement plus simple... Je regretterais presque de ne pas avoir accepté qu'Abi me raccompagne. Presque. Je ne veux plus entendre parler d'elle.


Je finis enfin par rentrer chez moi. J'essaie de ne pas faire trop de bruit, il doit être minuit et demie voir minuit quarante-cinq, mes parents doivent dormir. Apparemment j'en ai fait quand même, parce que ma mère sort de la chambre, toute ensommeillée. « Déjà rentrée ?

-Oui, Abi ne se sentait pas bien alors on est rentrées plus tôt. » Je ne sais pas mentir, mais je ne pouvais pas lui dire que je suis rentrée à pied, et comme elle est à moitié endormie, ça passe crème. Tant mieux, je n'ai pas envie de me battre. Je monte dans ma chambre, allume la lumière, et me regarde dans le miroir. Je n'en reviens pas que je puisse être aussi hideuse. J'ai envie de le casser, comme si ma laideur était de sa faute. Tout comme j'ai envie de détruire Abi et Alice alors que tout est de ma faute. Je mechange, vais me brosser les dents, me démaquiller, et me coucher. Je me mets dans le noir, et essaie de m'endormir, mais ça vient pas. Je rumine trop. Je pense trop à ce soir. À vendredi soir. À quand j'étais en première. En seconde. Au collège. Quand j'étais encore plus petite. Je repasse tous les moments de ma vie où j'ai été un boulet. Ma vie a été une suite d'échecs, mélangée à un concentré de mauvais choix. Je suis nulle, voilà tout. J'ai été tellement toxique pour tellement de gens... Pas étonnant qu'Alice ne veuille pas de moi. Qu'Abi se soit mis en colère. Que je ne sois jamais sortie avec personne.


Je mets de la musique pour aider à faire passer tout ça. Je cherche un truc pas trop triste et pas trop énergique, que je puisse m'endormir au plus vite. J'ai envie de finir cette journée au plus vite. Mon choix se porte sur du Ghost. Ça ne marche pas. J'ai beau me concentrer sur la musique, j'ai toujours mal au ventre tellement je vais mal.


L'album se finit assez vite, et je ne m'endors toujours pas. Je repasse toute la soirée au crible, tout ce qui ne va pas, tout ce que j'aurais pu changer, tout ce que j'aurais pu faire, si je n'étais pas moi. J'aurais pu arriver avec un cadeau, si j'avais eu une mémoire. J'aurais pu ne pas gober les mouches comme si j'étais dans un monde parallèle quand Alice a ouvert la porte, si je savais me contrôler un peu. J'aurais pu dire moi-même que je n'avais rien à offrir, si je n'étais pas un tel boulet. J'aurais pu coucher avec elle comme je l'avais promis, si je n'étais pas aussi coincée. J'aurais pu profiter des occasions qu'Abi m'a décrochées si je n'étais pas aussi nulle. Mais surtout, rien de tout ça ne se serait passé si j'avais pu distinguer le rêve de la réalité. J'aimerais être quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui ne se met pas en colère contre les autres quand elle est en colère contre elle même. Mieux : quelqu'un qu'Alice pourrait aimer. Je donnerais n'importe quoi pour échanger ma vie contre celle de quelqu'un d'autre.


Je me remets à penser à Alice. Je ne peux pas m'empêcher de m'imaginer sa réaction quand je suis partie. Quelque part j'ai envie qu'elle aille récupérer les morceaux de la photo et qu'elle les recolle. Qu'elle s'inquiète pour moi, qu'elle m'envoie un message pour me dire qu'elle voulait m'inviter quelque part pour réparer tout ce qui a été fait. Quelque part j'ai envie d'avoir une troisième chance. Quelque part j'ai envie que tout se finisse bien, qu'on sorte ensemble, j'ai envie de la voir, de la tenir dans mes bras, de l'embrasser... Mais au fond de moi je sais que la seule chose qui arriverait, c'est que je serais toxique pour elle. Je n'ai pas envie de la faire souffrir. Elle mérite tellement mieux que moi...



 Moncœur s'emballe à nouveau, c'est pas comme ça que je vais dormir moi...  

Lu'Where stories live. Discover now